Pas le même combat (Une critique avec un petit beurre à la fin pour vous récompenser)

Premier problème avec cette Géographie zombie : on n’y apprend pas grand-chose. N’importe quel spectateur d’un Romero et d’un épisode de The Walking Dead aura fait le tour de ce que l’ouvrage dit des zombies – « Aujourd’hui, pour beaucoup d’habitants des pays occidentaux et même au-delà, les zombies appartiennent à la grille de lecture, plus ou moins consciente que nous appliquons à notre environnement » (p. 16) : merci de cette révélation…
Ce qu’il dit de la géographie n’est pas plus percutant : affirmer que « l’auto-enfermement constitue une sérieux handicap dès lors qu’il s’agit d’établir des relations avec le reste du monde » (p. 85), ça m’aurait valu une délicate annotation truisme écrite en rouge en marge de mes copies de lycéen. Je force le trait en citant ici une analyse particulièrement plate, mais l’une des analyses les plus poussées du volume consiste à appliquer aux fictions de zombies la distinction entre territoire et réseau, ce qui n’est certes pas inintéressant mais ne constitue pas non plus un apport théorique majeur de la géographie aux études culturelles.
D’une manière générale, il ne me semble pas que Géographie zombie transpire la rigueur : j’ai toujours du mal avec la notion d’« inconscient des sociétés » (p. 16 ; l’inconscient me paraissant individuel par essence), je ne vois pas en quoi on peut définir « la Modernité comme projet » (p. 59) et la rapide mention de la fin de la Route (p. 68) fait totalement l’impasse sur son ambiguïté.


De là le deuxième problème, et pas le moindre : le caractère de gauche de l’essai, sous-titré, je le rappelle, « les Ruines du capitalisme », est défendu si faiblement et avec des idées si flasques qu’on n’a pas besoin d’être de droite pour en mesurer l’ineptie. Que le zombie puisse incarner l’idée de menace, ça me paraît évident ; que cette invasion soit d’ordre politique, racial ou même social, ça me paraît un contresens absolu. Le zombie est ontologique, et si les morts ont tous la même peau, les zombies ont tous la même chair putrescente (1).
Pourtant, selon l’auteur, le zombie « accompagne la résurgence mise en évidence, notamment par le philosophe Étienne Balibar, de la question de la race sous des formes renouvelées et diversifiées, et donc de nouvelles manifestations du racisme » (p. 49, les italiques sont de moi). J’ignore qui est Étienne Balibar, et ce qui le porte à penser qu’avec les zombies, il est question de race plutôt que de contagion (2). Mais je sais d’une part que le verbe accompagner est ici remarquablement flou – s’agit-il d’entraîner, de mettre en lumière, de constituer un indice de ? –, d’autre part que ce et donc est un abus logique.
Autrement dit, affirmer – comme l’auteur semble le sous-entendre – que toute fiction de zombies développe une vision raciste du monde me paraît extrêmement sommaire. Mais je reconnais volontiers qu’un public raciste puisse y projeter ses fantasmes, au prix des mêmes approximations intellectuelles. Parmi ces fantasmes, l’idée d’une contagion par l’intérieur. « L’altérité menace de s’inviter dans nos corps mêmes » (p. 32), tout comme le diable médiéval finit, dans la culture anglo-saxonne, par s’incarner dans le pécheur – cf. Robert Muchembled, Une histoire du diable.


Or, plutôt que de proposer de telles considérations, qui ont au moins le mérite de la nuance, Géographie zombie préfère se servir du zombie pour développer ce catéchisme de gauche qui m’horripile autant qu’un soldat incapable de se servir judicieusement d’une grenade horripile son camarade de régiment : non seulement le type est incompétent, mais il est dangereux pour son propre camp. (Heureusement, le débat intellectuel est une activité moins périlleuse !)
J’ai cerné les limites idéologiques de l’ouvrage en lisant « depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, […] les efforts consentis par les pays industrialisés en faveur de la libre circulation des marchandises » (p. 60). Vous avez bien lu : consentis. C’est-à-dire que d’après l’auteur, les États-Unis se seraient fait prier pour vendre leurs produits industriels sur le marché mondial… L’explication était fournie un peu plus tôt (p. 54) : on y parle de « sociétés occidentales, avides de frontières de toutes sortes ». Comme si les autres sociétés rejetaient les frontières ! Mais voilà : pour l’altermondialiste, les frontières, quelles qu’elles soient, c’est le mal.
Y compris quand on ne parle pas de partage de richesses ou de xénophobie pure et simple, mais de survie : mur du Rio Grande et prison de Walking Dead, même combat ! Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que pour l’auteur, « on se demande quel intérêt il y a à se protéger du danger, si la survie individuelle passe par le renoncement à tout le reste, en particulier à tout projet collectif » (p. 69). Il ne manquait plus que ça : le projet collectif ! Allons leur demander si leur survie individuelle présente quelque intérêt, aux migrants de la Méditerranée dont les zombies, à en croire l’ouvrage, seraient une représentation figurée…
Un dernier lieu commun pour la route : « il reste des personnages prêts à […] défricher un champ des possibles » (p. 119). Ce fameux champ des possibles, commun aux meetings du P.S. et aux publicités pour les biscuits Lu.


(1) Ils sont, à la rigueur, des humains dégénérés – en aucun cas abâtardis –, comme les rednecks de La colline a des yeux ou de Délivrance sont des paysans dégénérés – précisément par manque de bâtardise.
(2) Il est vrai que si le racisme consiste à considérer la couleur de peau d’un individu comme un défaut – cela me paraît même sa définition –, cela implique d’envisager tout mélange comme une maladie. Or le zombie, précisément, ne se mélange pas à l’humanité, mais la contamine.

Alcofribas
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le 14 févr. 2020

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