HAGAKURE
HAGAKURE

livre de Yamamoto et Jôchô ()

Je ne l'ai pas lu, mais je propose des informations importantes sur son contexte.


"Le Japon éternel" Nelly Delay (découvertes Gallimard)
page 76
"Les structures de la société japonaise reposaient sur des clans formés par les plus grandes familles nobles (Minamoto, Taira, Ashikaga...), leurs vassaux, leurs guerriers et leurs serviteurs. (...) Des luttes de clans éclataient sporadiquement jusqu'à l'engagement, au XVIe siècle, d'une guerre sanglante pour le pouvoir (...) cette guerre s'acheva par la bataille de Sarashino en 1575 et l'anéantissement des armées de Takeda Katsuyori. Les forces étaient inégales : en 1549, les Jésuites étaient venus au Japon pour convertir le pays. Les navires portugais, à bord desquels ils avaient pu atteindre l'archipel, transportaient des fusils, et les Jésuites les avaient utilisés comme présents persuasifs pour tous ceux qui se convertissaient à la foi chrétienne. Nobunaga et Ieyasu acceptèrent ce marché. (...) le clan Takeda disparut entièrement en 1582.
Cette bataille restée célèbre marqua le début d'un changement complet de stratégie, d'armes et d'armures - et le changement, plus important encore peut-être, d'un état d'esprit. L'esprit du bushido demeure un code de conduite mais le comportement sur le champ de bataille est exempt de notions d'honneur au profit de l'efficacité des coups portés."


"Guerre et paix" Gallimard - fondation Martin Bodmer
page 96, les guerriers samourais et leur idéologie, le bushido
Pierre-François Souyri, université de Genève
page 97 ""Hagakure, "caché parmi les feuilles"" " Il est partie constituante des dispositifs qui ont permis la naissance d'une mystique nationale japonaise au début du XXe siècle et contribué à l'irruption de la violence impérialiste."
"La gloire personnelle, le courage, l'honneur se sont construits comme des valeurs relatives, toujours liées à la victoire qui conditionnait la survie du guerrier, de son domaine et de son lignage. Or, à cette manière de combattre qui passait par l'entraînement à l'équitation et au tir à l'arc s'agrégèrent peu à peu d'autres valeurs comme l'abnégation ou le renoncement à soi, qui devinrent les marques de reconnaissance d'un groupe social particulier, le groupe des samourais."
"Avec la paix de l'époque Tokugawa (1603-1867) et la bureaucratisation relative de la classe guerrière, le bushido fut rejeté par les élites samourais (...) On préféra alors la voie du lettré"
"L'objectif assumé par les shoguns Tokugawa était de faire passer les guerriers du modèle médiéval à un nouveau modèle fondé sur la loi et le droit. Le guerrier devait désormais redouter le non-respect des procédures. (...) et la diffusion de la pensée confucianiste à la chinoise peut être interprétée comme un processus de civilisation des moeurs."


"Au décès de Nabeshima Mitsushige, , daimyô du fief de Saga, l'un de ses samourais, Yamamoto Tsunemoto, ne pouvant suivre son maître dans la mort, décida de confier dans les années 1710 à 1716 à l'un de ses propres disciples ce qui, selon lui, devait être la voie du guerrier idéal."
"Cet ouvrage peut être compris comme l'oeuvre d'un samourai confronté à la signification d'un monde en profonde évolution et qui, au lieu de s'adapter à la nouvelle donne sociale, chercha à restaurer ce qu'il pensait constituer l'univers des guerriers d'autrefois, sans pour autant remettre en question la légalité, une illusion anachronique en quelque sorte. (...) Le hagakure est donc un livre édifiant, un manifeste de protestation contre ce qu'étaient devenus les samourais de son temps, assagis par la pacification. (...) L'ouvrage s'ouvre par une formule frappante : "J'ai découvert que mourir est au coeur du bushido. Tenu de choisir entre la vie et la mort, je choisis sans hésitation la mort."


Le service du maître devait donc passer au-dessus du reste, au mépris de la vie. La mort pouvait advenir n'importe quand et il fallait dès lors s'y préparer afin de ne pas se couvrir de honte le moment venu. Yamamoto évoque des notions comme l'impermanence des choses, la vanité du monde, dans un texte qui demeure une critique latente du néo-confucianisme des lettrés. Le guerrier devait donc se soumettre à une éthique du service et de la mort qui n'avait en fait jamais vraiment eu cours, même au plus fort des guerres médiévales.
(...)l'ouvrage fut considéré comme celui d'un excentrique fasciné par la mort (...) il fut prohibé à la lecture (...) et interdit de publication."


page 101 "Mais le manuscrit fut redécouvert en 1906 et le Hagakure connut un succès d'édition, notamment dans les cercles nationalistes et militaristes (...) On tenta de le faire passer pour un guide de comportement à destination des soldats (...) L'ouvrage fut banni sous l'occupation américaine."


"A partir du XIXe siècle (...) on commença à se représenter l'histoire japonaise à l'image de l'histoire européenne (et non plus de l'histoire chinoise), c'est-à-dire comme un univers qui - de même que l'Europe - avait été féodal en son temps. Les samourais devinrent alors les chevaliers du Japon d'autrefois et le bushido fut alors une sorte de code chevaleresque.
Le critique d'art Okakura Tenshin se plaignait en 1906 dans Le livre du thé de cet engouement des Japonais et des Occidentaux pour le bushido, cet art de la mort, quand lui plaidait pour l'aimable et pacifique voie du thé (sadô), qu'il assimilait à un art de vivre. Il est vrai, ajoutait-il, que les Occidentaux tiennent "le Japon pour civilisé depuis qu'il s'est mis à pratiquer l'assassinat en grand sur les champs de bataille de Mandchourie".
(...)la voie moderne du guerrier, réinterprétée par les penseurs de l'époque Meiji (1868-1912) devint le nouveau prêt-à-penser d'une essence japonaise intemporelle, de valeurs faites d'abnégation, de fidélité au seigneur (devenu entre-temps le souverain, c'est-à-dire l'empereur), de mépris pour la mort. Cette idéologie, fruit d'une réinvention du passé, se mit alors au service du nouvel Etat-nation, c'est-à-dire d'une armée moderne lancée à la conquête de l'Asie.
L'idéologie officielle de l'époque chercha ainsi à faire croire à l'ensemble de la nation que les samourais, qui ne représentaient guère que 5% de la population, constituaient l'essence même du peuple japonais, un idéal quasi mystique. Dans les écoles, on se mit à enseigner l'histoire de ces samourais exemplaires (...) La plupart des héros japonais de ce temps sont des personnages tragiques, des perdants, et ne sont finalement grands que par leur mort. (...)
Ainsi en va-t-il d'un guerrier du XIVe siècle, Kusunoi Masashige, dont l'histoire fut montée en épingle à l'époque Meiji et qui était à la veille de la guerre l'un des héros fidèles de l'histoire du Japon, comme en témoigne toujours son imposante statue, installée en 1900 devant le palais impérial de Tokyo. En 1336 (...) il accepta la bataille contre le principal adversaire de l'empereur (...) Il savait pourtant que c'était une folie et qu'il ne gagnerait pas, mais l'empereur le lui avait prescrit."


103 "La logique qui conduit à la constitution des pilotes kamikazes peut se comprendre dans pareil contexte. La gloire de mourir plutôt que la gloire de gagner. Les soldats américains entrèrent alors dans une guerre asymétrique dans laquelle l'ennemi n'était pas mû par la nécessité de vaincre, mais par celle d'impressionner l'adversaire par sa détermination devant la mort. Cette manière de livrer bataille, interprétée par les troupes américaines comme du fanatisme irrationnel, pesa de façon terrible sur les combats en 1944-1945, provocant du côté japonais des pertes effrayantes, mais du côté américain une inquiétude qui justifierait l'usage de tous les moyens pour en finir."

ChatonMarmot
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le 22 févr. 2021

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