HHhH
7.5
HHhH

livre de Laurent Binet (2010)

Au cours de la Seconde Guerre monde, des hommes et des femmes ont commis des actes de bravoure inimaginables tandis que d'autres ont perpétré des crimes innommables. Ce temps de tous les contrastes est le théâtre du premier roman de Laurent Binet. Avec une plume passionnante et passionné, l'auteur français va s'attacher à raconter l'essor et la chute de celui qui fut l'un des personnages les plus terrifiants du Troisième Reich, Reinhard Heydrich, également surnommé le cerveau d'Himmler, surnom dont l'acronyme donne le nom du roman.


L'essor de notre protagoniste est une terrible succession de coups de force au service du régime Nazi, de la conception de la solution finale à l'imposition de la terreur en "Bohême-Moravie" lorsqu'il fut son gouverneur. Sa chute est le récit incroyable de l'opération Anthropoid dont les deux principaux acteurs sont les soldats tchécoslovaques parachutés de Londres avec comme seule arme leur courage, Jan Kubiš et Jozef Gabčík. Les deux hommes, aidés par un stupéfiant réseau de résistance, vont parvenir à commettre, le 27 mai 1942, ce qui fut le plus spectaculaire attentat de la Seconde Guerre mondiale contre le "bourreau de Prague". La chute de nos deux héros sera elle pleine de tragédie.


Véritablement habité par son sujet, Laurent Binet parvient à transmettre au lecteur sa passion pour cette histoire, pour ces personnages, pour cette ville, Prague, qui fut le théâtre de tant de souffrance. L'auteur apporte également beaucoup de recul dans son récit, mettant en perspective ce qui relève des faits historiques, de ce qui n'est que de la pure fiction. Roman dans le roman, ou infra-roman, HHhH est ainsi également une réflexion sur la matière historique et le devoir de mémoire.


La dernière partie du roman, qui relate l'opération Anthropoid, se libère de ce procédé pour nous plonger directement dans le coeur de l'action. L'auteur historien laisse alors la place à l'auteur romancier et nous livre une partition spectaculaire jusqu'au dénouement tragique et bouleversant.




" J'espère simplement que derrière l'épaisse couche réfléchissante d'idéalisation que je vais appliquer à cette histoire fabuleuse, le miroir sans tain de la réalité historique se laissera encore traverser" (p. 10)


" Heydrich, comme Sherlock Holmes, joue du violon (mais mieux que lui). Et, comme Sherlock Holmes, il s'occupe d'enquêtes criminelles. Sauf que, à la différence du détective, lui ne cherche pas la vérité ; il la fabrique, c'est autre chose" (p. 82)


" En complément de la tâche qui vous a été confiée par l'édit du 24 janvier 1939 de résoudre la question juive par le moyen de la migration ou de l'évacuation de la façon la plus avantageuse, étant donné les conditions actuelles, je vous charge d'effectuer tous les préparatifs nécessaires concernant les aspects organisationnels, pratiques et financiers en vue d'une solution globale de la question juive dans la sphère d'influence allemande en Europe" ("Autorisation", 31 juillet 1941, acte de naissance de la Solution finale)


" C'est un combat perdu d'avance. Je ne peux pas raconter cette histoire telle qu'elle devrait l'être. Tout ce fatras de personnages, d'événements, de dates, et l'arborescence infinie des liens de cause à effet, et ces gens, ces vrais gens qui ont vraiment existé, avec leur vie, leurs actes et leurs pensées dont je frôle un pan infini ... " (p. 243)


" Ceux qui sont morts sont morts, et il leur est bien égale qu'on leur rendre hommage. Mais c'est pour. nous, les vivants, que cela signifie quelque chose. La mémoire n'est d'aucune utilité à ceux qu'elle honore, mais elle sert celui qui s'en sert. Avec elle je me construit, et avec elle je me console " (p. 244)


" Gabcik et Kubis sont des Justes moins scrupuleux que ceux de Camus, mais c'est parce que leur existence s'inscrit au-delà ou en deçà de simples caractères noirs formant des lignes sur du papier " (p. 342)


" Je me dis que le monde est ridicule, émouvant et cruel. C'est un peu la même chose pour ce livre : l'histoire est cruelle, les protagonistes émouvants et je suis ridicule." (p. 434)

Zeldafan70
7
Écrit par

Créée

le 11 nov. 2019

Critique lue 78 fois

Zeldafan70

Écrit par

Critique lue 78 fois

D'autres avis sur HHhH

HHhH
pierremaury
8

Entre l'Histoire et le roman

Prix Goncourt du premier roman, Laurent Binet s'est trouvé malgré lui, et à la marge, impliqué dans la polémique qui a opposé Claude Lanzmann et Yannick Haenel autour de Jan Karski, présent dans un...

le 31 mai 2011

14 j'aime

HHhH
patrice
4

Quand j'entends le mot culture

Doit-on laisser l'Histoire aux trentenaires ? Plus précisément aux trentenaires gavés de Bernard Werber et d'égocentrisme crasse ? La réponse est dans ce livre. Et c'est non. Car partant d'un...

le 24 sept. 2010

14 j'aime

1

HHhH
PatriceB
9

Critique de HHhH par PatriceB

1. Je tombe sur un tweet dithyrambique de Bret Easton Ellis sur HHhH de Laurent Binet. Le Tweet dit à peu près précisement ceci: Laurent Binet's "HHhH" is about the plan to assassinate the most...

le 31 mai 2013

8 j'aime

1

Du même critique

Grâce à Dieu
Zeldafan70
3

Indignation aseptisée

Dans Grâce à Dieu, François Ozon a pris la décision, courageuse et déterminée, de traiter avec une précision implacable le sujet de la pédophilie dans l'Eglise catholique, à travers un fait divers...

le 24 févr. 2019

27 j'aime

6

0.5 mm
Zeldafan70
9

Ode à l'impertinence

Un film de 3h15, au nom énigmatique, réalisé par une japonaise (encore) inconnue du public occidental. Voilà malheureusement beaucoup trop d'obstacles pour que "0.5 mm" de Momoko Ando sorte de si tôt...

le 18 oct. 2016

12 j'aime

3