Autofiction, autobiographie… Peu importe le genre, on ne le devinera pas de toute façon : Edouard Louis, de son pseudonyme continue à raconter une vie, clamée comme la sienne, dans un ouvrage au nom qui se veut à caractère sociologique : Histoire de la violence. L’histoire proprement dite tient en une phrase. Elle raconte le viol de l’auteur par un homme, kabyle d’origine, le soir de Noël, et la réaction de son entourage face à cet acte. Le récit, déconstruit, fait appel aux points de vue de différents protagonistes, sans cesse commentés et corrigés par Edouard Louis. La parole est intérieure, non orale. Le langage sert la désapprobation intime, sur les faits, la morale, mais jamais la contestation ne se fait ouvertement. Edouard Louis est une victime, mais une victime policée. Tout juste explique-t-il à un moment ses convictions concernant la justice et l’incarcération pour exprimer ses réticentes à aller porter plainte au commissariat. Ce qui ne l’empêchera pas de donner une impression factice d’étude froide de son milieu, toujours, mais aussi des différents groupes sociaux auxquels il fait face, police comme médecins. Le fait est que, dans tout le texte, on se trouve bien plus proche du jugement personnel et affectif (compréhensible cependant, de par le statut de victime) que de l’étude sociologique.


Comme pour En finir avec Eddy Bellegueule, les évènements témoignent d’une violente brutalité. Aucun détail n’est épargné. La narration atemporelle, assez intelligente, constitue néanmoins une facilité décelable chez l’auteur, au propos ténu. Elle est d’ailleurs servie par des répétitions abrutissantes de mots, de propos, où quatre à cinq paragraphes s’enchaînent, parfois dans l’incohérence totale de la langue employée, nous servant la même chose à plusieurs reprises. Il faut aimer le matraquage, pour apprécier Histoire de la violence. Quelles idées, formules sortent du lot, approfondissent la réflexion, grâce à des emprunts qui sortent du cadre initial du récit, notamment sur la place du langage dans les situations anormales, dramatiques, ou encore la réflexion sur le rapport au temps et à l’espace, tour à tour déstructurés, puis rallongés. Le parler plébéien qui s’étale dans une bonne moitié du livre est souvent consternant. L’intention derrière est limpide : en faisant raconter par sa sœur Clara ce qui lui est arrivé, Eddy/Edouard peut se désynchroniser de l’acte qui l’a ravagé, tout en lui faisant dire des choses sur la misère, les méchants arabes, et jusqu’où il est un être différent des autres, surtout de ceux parmi lesquels il a grandi. En cela, si Histoire de la Violence ne rompt pas avec En finir avec Eddy Bellegueule, il s’enfonce dans un marasme largement dispensable, qui empêche la totale compassion avec le narrateur. D’autant plus quand la fascination pour Reda, le violeur, fascination datant d'avant le drame, semble basée sur une érotique de l’exotisme, gênante, relativement aux leçons données plus loin sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.


Histoire de la violence, ne manque pas d’authenticité, et il se peut que beaucoup de victimes de viol s’y identifient, malgré sa pénibilité. Les expériences personnelles et suggestives, de par leur force, ont parfois la capacité d’être un départ à des expériences nouvelles, voire des visions changeantes, sur la société, l’autre, le monde, dans son ensemble. À aucun moment Histoire de la violence ne propose un tel programme. Comment, par exemple, le dépôt de plainte a-t-il été envisagé par les amis de Edouard ? Le dilemme aurait mérité d’être plus amplement détaillé, sachant qu’il était question pour Geoffroy de sortir un ouvrage sur la justice. Comment Edouard en est-il venu à avoir finalement peur des maghrébins que lui-même appelle « Arabes » ? Comment s’est-il, ou non, sorti de ses démons, de ses hantises ? Voilà ce qui aurait pu prodiguer des armes de première nécessité aux lecteurs. Par son silence, Histoire de la Violence prouve une certaine impuissance.

-Ether
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le 19 mars 2017

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