Images d'un (autre) monde flottant
Yoshitaka Amano est sans nul doute avec Hayao Miyazaki et Takashi Murakami l'artiste japonais le plus connu à l'étranger. Coqueluche des geeks et des otakus pour sa pléthore de participations au chara design de jeux vidéos et d'animes ; surtout figure emblématique de la saga Final Fantasy, il est pourtant bien loin d'autres designers japonais connus et reconnus tels que Nomura, Murata ou encore Katsuya Terada par son style unique, marquant et terriblement attachant....tombant, il faut bien l'avouer, parfois dans un kitsch douceâtre. Les nombreuses monographies publiées en pagailles au fil des décades malheureusement limitée au marché japonais, quelques expositions éparpillées sur le globe extirpent son œuvre foisonnante du vulgaire travail d'illustration ou de design pour permettre d'admirer en toute indépendance des images qui gagnent dès lors une véritable autonomie.
Son trait ouvert et vibrant n'enferme jamais la couleur qu'il s'agisse d'acrylique éclatante en aplats saturés ou de tons doux à l'aquarelle. Ainsi se forme et s'agite un monde féerique peuplé de rois et de bouffons, de princesses et de sorcières. Un monde où les nombreuses femmes aux membres longilignes, aux chairs aqueuses, les yeux comme des coups de rasoirs, se parent de tous leurs atours, se faisant Salomé diaphanes et nagent dans des rivières de draperies, où les chevaliers androgynes et graciles portent des armures trop délicates et trop ornées. Son style est de la sorte fort propice aux fables, qu'il s'agisse de reprendre le Dit du Genji, de participer à l'animation des Mille et une Nuits, d'illustrer des contes occidentaux ou d'orner un texte de Neil Gaiman.
Cette esthétique est une riche alchimie entre divers éléments ayant déjà une forte identité. En premier lieu et de son aveu même : les dessins animés Walt Disney, ses hauts châteaux baroques piquetés et les robes bouffantes. Par extension l'esthétique pré-romantique de fin du XVIIIe siècle qui lie cauchemar, beauté et fièvre dans les pas de Goya, Blake et Füssli. Une autre source prégnante est l'Art Nouveau qui lui-même s'inspirait déjà en partie de la peinture japonaise, notamment les fonds dorés et les drapés bouillonnants de l'école Kanō. La boucle est ainsi bouclée.
