Le livre qui a inspiré la série The Wire, on y retrouve d'ailleurs certains messages (le passage sur le sac en papier comme instrument de paix sociale, le constat d'échec du système scolaire qui conclut le livre....).


Si vous avez besoin d'une bonne ration de déterminisme social, mais en avez assez de Zola, ce roman est fait pour vous.


Le livre se découpe en deux parties (hiver - printemps), elles-mêmes découpées en deux chapitres d'un peu plus de 100 pages chacun. Il y a également un plan de Baltimore, ce qui fait que vous pouvez suivre les déplacements des personnages bloc par bloc (une très chouette idée). L'unité de base de la vie est le corner, ce carrefour où des jeunes vendent diverses drogues, avec tout un écosystème (dealer, vendeur, rabatteur, coursier, etc...).


C'est un récit polyphonique, sans véritable ligne directrice. L'ouvrage alterne des passages didactiques expliquant comment le quartier autour de Fayette Street a pu se balkaniser en haut lieu de la drogue, et des saynettes sur la vie quotidienne des personnages, la manière dont ils évoluent. La thèse principale est que la drogue n'est qu'un symptôme, une économie parallèle qui donne à chacun sa place et réclame son tribut de sang. On ne peut lutter contre elle à coup de statistiques d'arrestation (qui empêchent les policiers de faire du vrai boulot), mais en s'attaquant au problème du chômage.


On suit de nombreux personnages attachants : Fat Curt, un vieux routier du corner, qui a connu l'ancienne école. Ella Thompson, une croyante qui tient le centre culturel MLK et veut monter une équipe de basket. R.C., Tae, Deandre, Boo, membres des CMB, un gang d'ados de 15 ans. Rose Davis, principale du collège Francis M. Woods. Gary, le père de Deandre, qui aurait pu faire de brillantes études s'ils ne les avaient pas plaquées après avoir engrossé une fêtarde junkie, Fran Boyd. Gary qui désormais ne pense qu'à sa dose et cherche du métal pour le revendre au poids à la United Iron and Metal Company. Tyreeka, une jeune beauté de 13 ans. Fran, la mère de Deandre, qui aimerait décrocher mais n'arrive pas à sortir du fatalisme du corner.


On suit beaucoup de moments quotidiens, où les forces sociales à l'oeuvre transparaissent. Une partie de basket qui commence par des insultes et finit par des rires. Une galère au tribunal. Un discours de MLK, que Deandre, à la surprise de ses professeurs, accepte de prononcer pour un concours d'éloquence afin d'obtenir son passage. Le fait de voir quelqu'un à deux doigts de s'en sortir, et d'avoir soi-même des velléités (vite étouffées) de se reprendre en main. Une fête de la Saint-Valentin, où bizarrement ces gosses de rues s'avèrent gauches avec les filles. Les inutiles "jours du zèbre" (descentes de police massives). Les mille et une embrouilles que les junkies se font entre eux, dans un milieu qui ne fait aucun cadeau.


On traverse bien des lieux : églises, centres culturels miteux, squats défoncés, salles de shoot, sous-sol des parents dans lequel on vit, supérettes, perrons, contre-allées, etc...


C'est bien écrit mais le grand nombre de personnages et de détails matériels rend le tout assez dense : on sent que c'était destiné à devenir une série télévisée. Vous l'aurez compris, ce n'est pas un livre qui vous fera sauter de joie, avec notamment les derniers paragraphes, formant une sorte d'instantanés d'une bande d'adolescent et se fermant abruptement sur une sentence terrible : "le corner les aura tous". De fait, le livre dénonce sans complaisance la manière dont la drogue dissout les liens familiaux, la moralité et le sentiment de communauté, avec un ton qui oscille entre l'horreur et une forme d'humour fataliste (le dernier refuge de la pensée face au sordide).


Vraiment, la structure fait penser à celle d'un Zola, mais il y a un petit quelque chose qui me retient. Peut-être une manière d'écrire un peu trop coup-de-poing, qui parasite légèrement le message (dur à entendre mais inattaquable).


The corner est un tableau poignant, étouffant et dense de la vie des camés à Baltimore dans les années 1990. Attention, il y a du sordide.

zardoz6704
7
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le 9 sept. 2018

Critique lue 236 fois

zardoz6704

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