Hyménée
Hyménée

livre de Louis Guilloux (1932)

Une œuvre qualifiée de « roman noir conjugal » selon la quatrième de couverture.
La noirceur confère t-elle une plus-value ? Au grès de notre sensibilité, nous lecteurs, nous nous hâtons d’ouvrir le livre. Nous lions ce concept de noirceur au gothique, au tragique ; à la plume et son encre caustique ; brossant des allées d’arbres morts, des caniveaux aux haleines fétides, le brouillard des parcs municipaux, des cheminées, des prostituées, des maquereaux, des amis peu fiables et des proches aux motivations douteuses, peut-être bien des chambres vétustes laissant transparaître la folie de ses locataires.
« L’éternel Mari » de Dostoïevski est un vaudeville noir puisque le mari cache ses intentions vis à vis de l’amant de feu son épouse (qui plus est, la fille du cocu est soupçonnée d’être une bâtarde), « La Douce » du même auteur est une histoire conjugale noire où un monologue intérieur décrit l’état de choc du narrateur devant le corps de sa femme…
« La nouvelle rêvée » d’Arthur Schnitzler avec sa tonalité onirique et ses tentions sexuelles ; peut-être aussi « La Sonate à Kreutzer » de Tolstoï où le récit se termine par un meurtre (bien que l’ambiance prête peu au qualitatif et pourrait même s’apparenter à un pamphlet, lequel vantait les mérites de l’abstinence).
Bref, vous l’aviez compris, l’amour est le matériau pour faire basculer il ou elle dans la folie et la mort, cela se fait depuis l’antiquité mais le regard change et de siècles en siècles, le coupable donne son chapeau au suivant, un archétype après l’autre. Les dieux pour commencer ! à cause d’Aphrodite Phaede tombe amoureuse de son beau fils (à l’époque considéré comme de l’inceste) pourquoi ? Parce que Hippolyte, fils d’une amazone, était abstinent, préférait la chasse à l’amour. Et pour le punir la déesse ensorcelle sa belle mère.
Il y a Zeus enchaînant les infidélités avec des mortelles et ces mortelles engendrent des bâtards divins ! Ensuite c'est au tour de la femme qui tente l’homme de Dieu, elle qui est à la fois chair de sa chair et fer du poignard ! Maintenant que Dieu n’est plus qu’un vieux souvenir en Occident, la faute repose désormais sur les épaule de l’homme et de la femme, l’existentialisme oblige, l’existence précédant l’essence, l’Homme est responsable de son corps et de ses états d’âme.
Ainsi lorsque je lus en quatrième de couverture que l’Hyménée de Guilloux était un roman noir conjugal, je m’attendais de surcroît à un élan artistique comme il nous l’avait si bien montré dans Le Sang Noir (un chef d’œuvre), une voix à sa façon pour nous raconter ce mariage où la paranoïa et le huis clos constituent l’édifice conceptuel du genre avec pour charpente La tromperie, l’angoisse, le protocole, le problème de l’argent, de la dot, la jalousie, la paranoïa, le jugement, le regard des autres (étant donné que Maurice a couché avec Berthe un soir de bal ) Or les cahiers rouges de Grasset m’ont induit en erreur. Ce n’est pas un roman noir conjugal mais un roman de réalisme social. J'ai été déçu mais je ne vais pas lui souffler mon crachat.
Tout d’abord pour un roman je le trouvais trop linéaire, il n’y a pas d’intrigues secondaires ni de flâneries, non il n’y a qu’une seule trajectoire, cela aurait pu être une nouvelle, une nouvelle de grande envergure or vous avez choisi le format du roman monsieur Guilloux ! Oui votre roman est une nouvelle qui ne s’assume pas !
– Mais je n’ai rien à me reprocher...dit-il en ravalant sa salive.
– Je n’ai pas fini ! Lancai-je, les yeux convulsés comme une vessie, le front saillant d’une veine. Le muscle de mon indexe bien bandé. Je poursuivis :
– Monsieur, je vous ai admiré depuis si longtemps...et vous m’aviez trompé avec cette quatrième de couverture...comme une femme qui trompe son homme.
– Qui fait l’homme qui fait la femme ? Dit-il pour dédramatiser.
Mais je n’étais pas d’humeur à plaisanter. Je poursuivis mon réquisitoire. Il n’y avait pas l’ambiance que je voulais, je ne ressentais aucune tension, okay Berthe est une folle mais une folle chiante, j’aurais voulu d’une folle qui avec ses bonnes intentions enfonce davantage son mari. Par contre ce que j’ai ressenti pour le personnage c’était de la pitié c’est vrai (bien mieux que l’empathie). Les non-dits, les secrets, le mensonges étaient mis en forme dans les dialogues. D’ailleurs les dialogues montrent des qualités indéniables tant ça retranscrit le parler des gens de la province, un parler que pourraient très bien exprimer des personnages de Maupassant.
Le défaut majeur, à mon avis, est le point de vue à la troisième personne. Raconté à la troisième personne, dans un discours indirect libre, la psychologisation de Maurice (ou de Berthe) a moins d’impact sur le papier. Raconté à la première personne, le narrateur nous livrerait son monde intérieur où se tracent des fausses routes ! L’amour nous induit en erreur, il nous tend un miroir où se reflètent nos illusions. Dans une telle situation, la raison est mise de côté, le désir prend le pas et donc le narrateur offrirait une version peu fiable de l’histoire !

Ç’aurait pu être un point de vue Interne chez Maurice mais je pense aussi à celui de Berthe qui croit être tombée enceinte et enferme l’homme dans le carcan du mariage pour ne pas essuyer le déshonneur de la famille ! Et cette grossesse comme un compte à rebours...

Toutefois...
En lisant l’Hyménée beaucoup de questions de rhétoriques me sont venues à l’esprit :
Il y a t-il un contrat sexuel pour nous asservir ? L’amour est-il opium du peuple ? L’amour renforce t-il le déterminisme social ? En commettant une erreur de jeunesse, par erreur j’appelle insouciance, doit-on institutionnaliser notre amour ? Être libre est-ce ne pas aimer ?
Si vous cherchez un livre naturaliste ou de réalisme social, si vous voulez remonter dans le temps, vous sentir proche d’un arrière grand parent, n’hésitez pas, lisez l’Hyménée de Louis Guilloux.
Lisez son œuvre. C'est un grand écrivain, injustement méconnu.

Oktemuza
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le 1 déc. 2021

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