La brosse à cheveux de Derrida sur eBay

Première partie :
Une fille lave les ulcères de sa mère malade, proche de la mort. A la Tour abolie sa seule étoile se meurt. Le tout est plein de calembours, de crases amphibologiques à la Lacan, pas toujours heureuses et qui, sorties de leur contexte peut paraître très lourdes et caricaturales. Mais je retiens de cette première partie de l'ouvrage ce witz qui m'a bien fait sourire :



« Si Dieu avait vu les yeux de Job. Mais non. Dieu n'a pas d'yeux. Il n'y a pas Dieu. ».



L'agonie de la mère est certes un impossible à vivre, et quelque part l'échec du langage – dans ce livre – à le dire est peut-être un beau témoignage de cet impossibilité. Mais à ce compte je préfère la ligne claire du journal de deuil de Barthes.


Deuxième partie
Le sommier de Benjamin. C'est très drôle. La mère apprend à sa fille qu'elle a récupéré dans les années 1930's le sommier d'un appartement parisien occupé par certain M. Benjamin, intellectuel allemand. Oui, oui, en 2005 Hélène Cixous apprend que sa famille possède le sommier parisien de Walter Benjamin. Emballement. Et Jacques Derrida, l'ami disparu, qui venait de faire une lettre posthume à Benjamin en 2001. Fichus. Ah, le frère d'Hélène Cixous a dormi pendant des années sur le même sommier que Walter Benjamin sans y penser. Sans être ventriloqué par le fantôme de Benjamin. De fait. Mais Hélène dort dedans et fait un rêve majestueux. Ah si elle avait dormi dans ce sommier toute sa vie, quelle vie d'écriture et de pensée c’eut été ! Bon, elle se pose un peu la question sur la reproduction technique de l’œuvre « sommier » et décide du caractère « auratique » du sommier de Benjamin. Bientôt exposé au musée avec sa brosse à dent (et sa brosse à moustache, ah brosser sa moustache avec celle de Benjamin...). Ça m'a fait penser à ce commerçant du Maître du Haut Château de Philip K Dick qui refourgue ses vraies fausses antiquités ayant soi-disant appartenu à des célébrités nord-américaines. On constate que le fétichisme ça marche aussi pour les intellectuels (voir avec les lunettes de Sartre, dormir dans le sommier de Benjamin, etc.).


Troisième partie
La permission. Il s'agit d'un rêve de Derrida revenant (il est mort en 2004). C'est beau ça. Derrida qui revient fantomatiquement à Cixous via le sommier-mediumnique. Ça c'est un "hypperêve", non ? Parce que quand même c'est pour cela que je me suis investi dans le livre pour découvrir une dimension nouvelle, des galaxies d'hyperrêves. Eh bien pas grand-chose.



« Et pourtant tous les événements de cette vie suraigüe ont l'air d'être taillés dans l'hyperrêve. Tous en effet se présentent accompagnés d'une voix qui me murmure dans le cœur « ça ne va pas durer ». »(p.178)



Le terme « taillés dans » suggère une matérialité, l'aspect fantomatique (tout a une fin) oscille avec le côté rêve lucide : tu vas te réveiller, tu es dans un rêve. L'hyperrêve serait une sorte de rêve du « mourir », de l'agonie dont ne peut se réveiller, ce serait le temps de l'oubli en devenir, de la mort en suspens, les yeux ouverts. On serait aussi tenté de lire cet hyperrêve comme un retournement de « l'hyperréalité » de Baudrillard, une consistance du rêve qui atteint à la réalité, mais rien ne fait signe vers cet ailleurs. Mais je crois en fait que Cixous ne tient pas en fait à forger un concept précis d'hyperrêve mais plus faire trembler la mort par la parole qui s'efface. Cet hyperrêve demeurera donc dans des confins lointains.

JohnDoeDoeDoe
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le 10 avr. 2017

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