Il est de retour
6.1
Il est de retour

livre de Timur Vermes (2012)

Peut-on rire de tout? Oui, mais pas venant de n'importe qui.

Un mot résume ce bouquin: dommage.
Belle couverture, beau prix (19.33€, on se gausse dans les chaumières), pseudo notoriété alléchante (mais le nombre d'exemplaires vendus n'atteint pas la qualité réelle de l'achat) notamment en Allemagne, autant de raisons qui m'ont fait acheter "Il est de retour" ('Er st wieder da") de Timur Vermes.
Le mot déception ne refléterait pas vraiment tout le potentiel que ce livre contient. Mais le mot frustration est l'exacte définition du sentiment éprouvé quand je l'ai refermé, hier soir, après avoir bien vérifié que cette fin n'était pas un défaut d'impression.

Alors on ne refera pas le pitch de l'histoire, elle est l'essence même de ce succès (du moins en Allemagne), mais une des raisons du fiasco est bien une promesse non tenue. Il y a, selon moi, eu un couac dans la réflexion de Vermes. Il a en effet développé deux idées narratives qui me semblent incompatibles:
- une analyse satirique de la société (en se basant sur le caractère "cyclique" et controversé d'ailleurs de l'Histoire)
- le récit humoristique d'un Hitler perdu au 21ème siècle
Traitées séparément, ces deux idées auraient pu être les objets de deux bons bouquins (bien que le premier axe nécessite un peu d'originalité, c'est quand même une sacrée vache à lait en littérature),

Une satire de la société made in Adolf Hitler? Non, non et non. Et ce n'est pas par une pseudo hypocrisie politiquement correcte que je juge de la non pertinence de ce livre, c'est à cause du manque de crédit du personnage et de son référentiel et utopie sociétaux que l'on ne peut pas adhérer à cette satire. D'ailleurs où est la satire? Qui peut me citer les lignes qui te font réfléchir sur ta société actuelle? Celles qui soulignent le caractère "inculturel" de la télé? Cette idée révolutionnaire valait bien un Hitler pour la brandir! La satire n'est drôle et pertinente que si la personne à son origine est légitime et provoque sinon admiration, du moins une certaine adhésion, ne serait-ce que partielle. Une satire se construit autour d'un référentiel moral qui permet au narrateur de faire sa critique. Hitler fait-il partie de ceux qui dont on accepterait profondément une critique de notre société? Peut-on se faire donner une leçon socio-économique par une personne dont on admire, au très grand maximum, le parcours politique? Moi, non.

Et quant à sauver l'honneur de ce livre en en soulignant l'effort humoristique, il faudra trouver un meilleur public que moi. Et pourtant j'aime l'humour de répétition, le comique de situation, les quiproquos et dialogues de sourds. Et le bouquin est en bourré. Mais je n'ai pas souri une seule fois. Parce que c'est mal amené, parce que dix pages avant, on sait ce qui va se passer, parce que les blagues sont tellement prévisibles que s'en est désespérant. Autant le manque de subtilité des "blagues" elles-mêmes, on peut apprécier, autant le manque de subtilité de l'introduction de ces blagues est navrant.

Enfin, et on peut dire que je chipote - mais quand j'achète un bouquin j'attends que l'auteur n'écrive pas comme mon cousin, rentrée la semaine dernière en CP - mais que c'est mal écrit (traduit?)(1). Introduire quasiment un chapitre sur deux par "le lecteur s'étonnera de la facilité avec laquelle bla bla bla", c'est de la paresse intellectuelle. Si justement, le lecteur avait été de base pris dans le livre, dans le "suspense" de la narration, s'il s'était identifié à l'audience d'Adolf Hitler, si l'auteur avait réussi à soulever l'adhésion de ces lecteurs par son histoire, il n'aurait certainement pas eu besoin de nous raccrocher désespérément au wagon, ce qui est agaçant et en gâche le rythme (d'ailleurs chaque début de chapitre est inutile, sautez 5/6 pages). De plus, l'incohérence quant aux capacités intellectuelles d'Hitler empêche aussi la lecture sereine du bouquin. Comment peut-il tout comprendre d'Internet en 1 heure, et être perplexe devant un prospectus Media Markt au point de le confondre avec un journal de presse?

Ma frustration explique cette argumentation à rallonge. J'aurais aimé lire un livre drôle sur Hitler qui découvre le 21ème siècle, mais que ne s’attelle pas à le critiquer. J'espère qu'un auteur (autre que Vermes, merci) saura trouver l'inspiration dans cet échec littéraire pour réussir ce défi. Un auteur drôle, s'il vous plaît.

Je vends mon exemplaire (20.14€).

(1) Messieurs les traducteurs, la Blitzkrieg et "une" guerre éclair, ce n'est pas la même chose. Cette blague manquée est l'illustration parfaite du manque d'adaptation de la traduction et des populations non-germanophones.
cilece
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le 11 sept. 2014

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cilece

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