Joyce Smith rentre de voyage (elle s'est absentée deux jours, en visite à une université qui l'avait invitée). Retrouvailles avec son mari, Ray. Dîner préparé par lui pour elle. En tête à tête. Intimité. Le lendemain, Ray s'est levé avant l'aube. Quand Joyce se réveille, il n'est plus à ses côtés dans le lit conjugal. C'est inhabituel. Elle s'en étonne plus qu'elle ne s'en inquiète. Elle part à sa recherche à travers la maison qu'ils habitent à Princeton depuis de longues années et le découvre... pas très en forme. Elle insiste pour l'emmener immédiatement aux urgences. Et signe que Ray ne se sent vraiment pas bien, celui-ci accepte et se laisse conduire. Le verdict tombe : pneumonie. Ray est aussitôt hospitalisé et Joyce commence sa longue veille auprès de son époux gravement malade. L'inquiétude grimpe, puis s'estompe et oscille ainsi durant toute la semaine durant laquelle Ray est alité. Mais la rémission se profile finalement et un transfert vers un centre de convalescence est envisagé. L'espoir renaît quand Ray décède brutalement le 18 février 2008 à 0h50.

Joyce est anéantie. Après un mariage de 47 ans et 25 jours durant lesquels ils ne se sont jamais quittés, le vide laissé par sa disparition est incommensurable. La douleur inimaginable. L'auteur narre son combat. Sur tous les plans : contre le commerce de la mort, contre l'administration pour les formalités interminables, contre les amis, les tombereaux de lettres et de cadeaux de condoléance qu'ils lui font parvenir à un moment où elle n'aspire qu'à rester seule... Et surtout contre elle-même et sa culpabilité d'avoir conduit son époux dans cet hôpital où ce dernier est mort d'infection nosocomiale, contre sa culpabilité de lui survivre, contre ses envies de se retirer elle aussi. Car elle flirte constamment avec ses idées noires, à chaque instant sur la ligne, réfléchissant au suicide. Ses amis l'aident néanmoins à tenir, jouant un rôle fondamental dans sa survie. Chaque minute supplémentaire de vécu constitue à elle seule une petite victoire : une journée après l'autre, une nuit (d'insomnie) après l'autre. Manquant de se noyer à tout moment, elle parvient au prix de mille efforts à redresser la tête, peu à peu.

Tout en nous contant sa lutte présente, Joyce revient en de fréquentes digressions sur sa vie passée aux côtés de Ray. Souvenirs heureux, tendres. Une histoire d'amour magnifique et bouleversante qui débute à l'automne 1960 sur le campus universitaire que les deux étudiants de jadis fréquentaient à l'époque. Elle ne parle que très peu de leur vie antérieure à leur rencontre comme si celle-ci constituait véritablement le début de sa vie, une seconde naissance. Et parce que « J'ai réussi à rester en vie » est avant tout un livre sur son mari (et qu'elle lui a dédié). Un hommage vibrant.

Un livre qui m'a beaucoup ému et dans lequel j'ai souffert à ses côtés. Un livre atypique qui ne ressemble en rien à tout ce que je connaissais de Joyce Carol Oates (Joyce Carol Oates est en faite son nom de jeune fille. Et Joyce Smith son nom de femme mariée, son nom « officiel »). Une grande différence de ton. Elle n'écrit plus à la troisième personne du singulier, mais à la première. Elle ne décrit plus avec détachement la vie de ses personnages (fictifs) d'avec lesquels elle garde toujours une certaine distance. Elle parle d'elle, employant le « je » qui personnalise tant le texte. Elle est cette fois au cœur de la tourmente et ne se contente plus de la contempler.

Ce livre n'est pas un roman. C'est un récit autobiographique dans lequel on découvre une femme fragile et forte à la fois, une épouse de 8 ans plus jeune que son mari, une épouse effacée, discrète qui cherche à contenter son mari en toute circonstance, une femme qui veut être aimée. Une femme peu sûre d'elle qui a besoin d'être aimée, de se savoir aimée. Un récit lequel JCO se livre corps et âme comme elle ne l'avait (à ma connaissance) jamais fait. Elle nous décrit son amour, sa perte, ses peurs sans fausse pudeur. Crûment.

Un livre magnifique que je recommande à ses fans principalement (ce n'est, à mon sens, pas le plus indiqué pour découvrir l'auteur) : après avoir appris à connaître et à aimer l'écrivain, on apprend cette fois à connaître et à aimer la femme.
BibliOrnitho
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le 20 juin 2012

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