"Me trouvez-vous beau, Miss Jane ?" "Non."
Charlotte Brontë était une hypocrite.
Francophobe dans l'âme - il suffit de voir les personnages de Céline et Adèle Varens, uniquement préoccupées par leur toilette, trait typiquement parisien selon cette petite garce de Jane - elle sème sa connaissance (excellente, soit dit en passant) du français à chaque page, de sorte que la première édition que j'ai lue de ce livre est truffée de "en français dans le texte". Les nouvelles éditions ont estimé que ça alourdissait le texte et ont retiré ces pieds de page. Bien leur en a pris.
Après ce préambule à prendre avec autant de sérieux que la prélogie Star Wars, passons au livre en lui-même.
C'est en lisant ce genre de bouquins que je me rappelle à quel point il est doux d'être une fille et d'être sensible à des histoires d'amour aussi passionnantes. Oui, j'ai adoré Jane Eyre, tout autant que les Hauts de Hurle-Vent, je le revendiquerai jusqu'à ma mort.
Sur le papier (haha), le résumé n'est pas ce qu'il y a de plus passionnant : une jeune gouvernante s'éprend de son maître et est aimée de lui, mais l'existence de l'ancienne femme de ce dernier s'oppose bien naturellement à leur union.
La plume de Charlotte Brontë est un véritable délice, même à la première personne. Jane est parfois cynique, toujours lucide, elle ne fait jamais de faux-semblants ; elle considère Mrs. Fairfax comme une personne aimable mais "simple" (pour pas dire conne, quoi...) et elle avoue qu'Adèle, sa pupille, lui inspirerait plus de sympathie si elle ressemblait davantage physiquement à Mr. Rochester , ce qui confirmerait leur lien de parenté, et si elle n'était pas si... française.
Ardente, rebelle et effrontée pendant son enfance sous l'influence de sa tante Mrs. Reed et ses enfants, puis de sa rude existence à Lowood, Jane devient une jeune fille pleine de dignité et de ferveur, et d'une sagesse rare pour une adolescente de dix-huit ans tout juste. Elle conserve de son caractère tranché une impitoyable franchise.
Heureusement pour elle, car c'est un laideron, instruite, pianiste et peintre certes, mais sans talent particulier.
En face, Edward Rochester (le premier qui mentionne son prénom et fait une comparaison avec Twilight se reçoit mon poing virtuel dans sa gueule digitale), rude, gentleman certes mais bourré de sautes d'humeur et d'ardeur. Amusant de voir que les archétypes sont inversés, que l'homme d'âge pas tout à fait mûr est le "volcan" passionné à contrôler et que c'est la fraîche jeune fille qu'il aime qui va devoir s'en charger.
A cela s'ajoutent donc multiples personnages, Mrs. Fairfax, une vieille veuve un peu bête, Adèle Varens, l'élève de Jane, parisienne donc frivole, Blanche Ingram, jeune, belle et vénale, donc logiquement prétendante à la main d'Edward, Mrs Reed, la méchante tante de Jane, Helen Burns, la très chrétienne et digne jeune adolescente de Lowood, maladroite et distraite...
Tous sont bien ficelés, ont leurs travers, leurs forces, que ne cesse de souligner Jane, qui ne manque pas elle non plus de faire sa propre critique avec rudesse (notamment concernant son apparence physique - il suffit de la voir se molester en se comparant à Blanche...). L'écriture transporte le lecteur à la fois avec justesse et simplicité.
Jane fait des chichis, bien sûr, mais c'est une femme éduquée, pleine d'honneur, "set in her ways", comme on dit, ce n'est donc pas très étonnant, et puis il faut revoir le contexte.
Un délice, disais-je. Je répète, je maintiens.