Contrastes et beautés d'un monde simple
Un univers familier pour les amateurs du genre, des intrigues assez simples, des personnages parfois un peu archétypaux, on pourrait se demander ce qui fait de ce recueil de nouvelles un très bon moment de lecture.
La première réponse est l'écriture. Précieuse, dirons certains. Plutôt très bien pensée, qui colle bien à chaque personnage. L'exercice de se focaliser sur un personnage par nouvelle est périlleux du point de vue de la narration, car il faut parvenir à retranscrire l'état d'esprit, le caractère du personnage par le choix des mots. Jaworski y parvient très bien, sans verser, justement, dans le verbiage. Sa plume est suffisamment légère pour ne pas rebuter, et suffisamment précise pour nous happer dans son monde.
Son monde justement, un royaume féodal, pris entre des hordes nomades et une cité commerçante et maritime, ne paraît pas très élaboré à la base. Mais que diable ! On ne demande pas d'inventer des formes extravagantes. Si c'est du déjà vu, tant mieux, cela permet au lecteur de se concentrer sur l'intérieur du monde, sur la vie quotidienne, admirablement décrite dans certaines nouvelles (j'ai particulièrement aimé la lente description du charbonnage dans la nouvelle "Un amour dévorant"). Un univers pas forcément surprenant, mais contrasté, bien raconté. Pour ma part, c'est à peu près tout ce que j'attendais d'un format comme celui de la nouvelle.
Et enfin, les intrigues en elle-même, qui varient entre le bon et le plus faible. J'attendais par exemple beaucoup de don Benvenuto, et au final, ce n'est pas lui qui m'a le plus plu. Peut-être un peu lisse, pas assez haut en couleurs pour un assassin cynique, et un peu trop intelligent aussi, lors de sa confrontation avec Leonide Ducatore. Ce passage d'ailleurs, est un peu trop hollywoodien aussi, avec des effets d'attente assez artificiels.
Je lui préfère la simplicité et la mélancolie du "Conte de Suzelle", qui reprend habilement les topoi du héros de conte pour finalement en faire une figure mélancolique, et ce avec une langue qui justement passe de la légèreté de l'enfance à la pesanteur des regrets et des années. "Jour de guigne" est absolument magnifique aussi, dans son humour mordant et son intrigue extravagante.
Je finis par louer également la construction du recueil : la grande histoire, celle du fondateur et celle de la mort de toute chose, encadre de son éloignement temporel (qu'il soit précisé ou pas), des histoires simples, ponctuelles, qui se passe dans un monde où les certitudes, au début bien établies, sont fragilisées au fil des nouvelles. Et on termine par ma nouvelle préférée, "Le confident", qui me fascine à la fois par cette divinité du Desséché et son clergé très bien pensé, et qui est très original par rapport à mes lectures, et par cette histoire d'un homme à cheval entre la vie et la mort, cette figure du passeur d'histoires, simples ou grandes, une figure de conteur, d'aède, une figure d'auteur peut-être, qui se perd dans son histoire. Mais ce n'est pas grave, parce que nous sommes là pour prendre sa suite.