Andrée Dubuisson, 1962, trente-six ans, vit depuis un an à Essaouira, au Maroc. Elle se plaît merveilleusement bien dans cette maison aux murs blancs et aux volets bleus, et dans ce pays dont elle ne comprend pas la langue. Elle y a même rencontré de nouveau l’amour : Jean, un bel ingénieur, fan de Brigitte Bardot, qui vient tout juste de la demander en mariage. Mais ce que Jean ignore, c’est que son héroïne, dans le film La Vérité de Clouzot, incarnait le rôle d’Andrée. Cette œuvre a rattrapé la jeune fille dans ses espoirs de fuir son passé, et l’a même obligée à déménager en dehors de la France et à changer d’identité. Elle passa de Pauline Dubuisson à Andrée, pour rendre hommage à son père décédé, avec qui elle entretenait une très forte relation. Mais suite à cette promesse d’amour, Pauline se sent alors obligée de tout raconter à Jean. Impossible de lui cacher quoi que ce soit. La jeune femme va donc commencer à lui écrire son histoire : en passant par sa jeunesse pleine de débauche et son expérience de la période de la guerre, jusqu’au meurtre de son ex-fiancé et du procès qui s’en suivit. Elle détaillera également les raisons de l’admiration inconditionnelle qu’elle portait à son père, qui se suicida en apprenant que sa fille avait été arrêtée, et l’indifférence qu’elle ressentait envers sa mère.
À travers ce roman à la première personne, Jean-Luc Seigle nous donne son point de vue sur ce fait divers des années 1950. En effet, Pauline Dubuisson fut la seule femme contre laquelle le Ministère public requerra la peine de mort pour un crime passionnel, sans que cela n'émeuve personne à l'époque. L’auteur cherche à susciter de l’empathie chez le lecteur envers cette femme contre qui le destin s’acharne. Avec son roman Je vous écris dans le noir, Seigle revient sur cette polémique, une soixantaine d’années plus tard, et tente de donner la parole à l’accusée qui ne fut guère entendue de son vivant.
Ce livre nous prouve très clairement la nature de l’Homme qui est de ne jamais rien pardonner totalement. Le destin s’acharne sur Pauline, commençant dès son enfance, avec ses sorties de chasses imposées par son père, jusqu’à son procès où lesdites sorties furent retournée contre elle pour démontrer qu’elle aimait le sang. Même la passion de la jeune fille pour la médecine, qui tenta tout au long de sa vie et tant bien que mal de mener à bien ses études, fut un argument pour prouver que ce n’était qu’une bête avide de mort, qui ne souhaitais qu’assouvir ses pulsions assassines. Dans ce roman, Jean-Luc Seigle parvient avec une aisance inouïe à se conformer aux faits historiques, tout en essayant de faire relativiser le lecteur sur les intensions possibles de Pauline Dubuisson, et à le faire se demander ce qui aurait put se passer pour que la jeune femme agisse ainsi. La citation de Jankelevitch, dans son livre La Mort, résume à la perfection cet ouvrage : « La vie de quelqu’un […] est un déroulement inédit et original d’une suite d'expériences unique en son genre. Le témoin ne peut donc juger qu'à la condition de rester témoin jusqu'au bout. Qui sait si la dernière minute ne viendra pas d'un seul coup dévaluer une vie apparemment honorable ou réhabiliter au contraire une vie exécrable. » De cette façon, l’auteur parvient très facilement à imaginer ce qui aurait put se passer dans l’esprit de Pauline Dubuisson pour qu’elle en vienne à tuer son ex-fiancé, et aussi de quelle manière elle a réussi à survivre, tant bien que mal, dans ce monde d’hommes qui l’a manipulée et malmenée du début à la fin. Seigle nous propose, au-delà des actions de cette femme au cours de sa vie, sa propre vision de la situation, en utilisant un français fluide et très facile à lire. Les mots coulent comme de l’eau sous les yeux du lecteur, bien certains passages soient durs à lire et nous brûlent l’intérieur en nous faisant prendre conscience de la réalité de l’époque.
Jean-Luc Seigle sait se mettre à la perfection dans la peau d’une femme meurtrie par la vie et nous propose une version merveilleusement nouvelle de cette polémique des années 50 qui nous permet d’élargir nos points-de-vue, de nous ouvrir l’esprit et de nous faire relativiser.
LauraneRose
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le 7 déc. 2015

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Laurane Rose

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