Joyeuses vacances à Knockemstiff.

J’aurais pu nommer cette critique avec bien des formules moins ironiques. J’avais pensé à des assemblages de mots, tous plus malsains les uns que les autres, du genre de « Moucherons, Gerbe et Violence » ou encore « Sodomie, Speed et Blue Ribbon » ; puis je me suis dit que même si ces titres rendraient bien justice au bouquin, ils ne donneraient pas envie à quelqu’un de sain de s’y plonger. A juste titre, vous l’aurez bien compris.
Récit de violence, récit de noirceur ? Difficile de caractériser ce recueil de 18 nouvelles, aussi brèves qu’intenses. Je vais tacher de vous donner un avant-goût de ce que vous pourrez trouver dans les instantanés de Donald Ray Pollock.


Instantanés, le terme est bien mieux choisi que « nouvelles ». Car, à l’instar d’un Ellis dans son recueil « Zombies », il n’y a pas vraiment de caractéristiques propres à la nouvelle dans les récits de Pollock. Pas de début, pas de fin, pas vraiment de chutes : ça ne ressemble à la nouvelle que par sa longueur. Je conçois plus le livre comme une sorte d’orchestre, un roman-chorale, où chaque personnage apporte sa note dans cette symphonie malsaine et disharmonieuse, qui ne cesse de gagner en noirceur au fil des pages et des notes qui s’empilent les unes sur les autres.
L’écriture de Pollock est intense et calme à la fois. Elle semble apaisée, et difficile parfois de l’appréhender dans son ensemble, tant elle traite d’horreur avec un calme incroyable. On se laisse balloter tranquillement, sans à-coups, et surtout sans deviner (du moins au départ, car on comprend vite que le bonhomme ne fait pas les choses à moitié) à quel point ce que l’on lit est sans espoir ou dégueulasse.
J’avais au départ acheté ce bouquin sur les conseils d’un libraire, lorsque je lui avais demandé conseil. Je lui avais dit que j’étais friand de « beautiful losers », des écrits à la Fante, Brautigan ou encore Bukowski. Et il m’en a au final glissé deux dans les mains. « Knockemstiff » en faisait donc parti. Et même si je comprends le conseil de ce libraire, je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’y a pas grand-chose de comparable entre Fante et Pollock, ou même, allons-y, entre Bukowski et Pollock (même si là, je m’aventure sur un terrain glissant). Car rarement dans un écrit de Buk, j’ai été confronté à une noirceur aussi homogène, aussi étouffante. Cela vient certainement de l’écriture qui se veut implacable dans Knockemstiff. Elle déroule tranquillement des champs de noirceur, cultive le malsain sans sourciller une seconde. Et si elle prend parfois son envol, ce n’est jamais pour décoller et surplomber le malsain, mais bien pour s’y enfoncer encore plus, contrairement à Buk. On a alors le droit à des expressions, des métaphores extrêmement puissantes et évocatrices, traitant de cadavres dans une eau stagnante, de pédophilie, de personnes qui perdent pied comme jamais on ne l’a fait auparavant…
Puisqu’à Knockemstiff, la misère ne fait pas demi-mesure. La ville semble être un catalyseur des pulsions les plus basses, un accélérateur des vices les plus tordus. Tous les personnages sont paumés, et les plus chanceux d’entre eux n’ont pas (encore) franchi la frontière de l’indicible. On a donc des alcoolos, des défoncés au speed, des vagabonds, des violeurs, des voleurs, des assassins, des incestueux, des victimes, des putes, des pervers, des crève-la-dalle, très peu d’innocents (ou en tous cas, s’ils le sont, ne le restent pas longtemps) qui déambulent dans une même ville, et où chaque interaction a des propriétés explosives et exponentielles. Le tout se révèle un tableau monstrueux et sans égal : si j’ai cru m’en sortir pendant un temps, ce fut vain. Il n’y a pas d’espoir dans Knockemstiff, je suis formel.
Ne nous mentons pas : il y a lecture plus joyeuse que « Knockemstiff », et surtout, je m’attendais à des choses bien différentes lorsque je pensais aux losers flamboyants et glorieux de John Fante ou Richard Brautigan. Ici, difficile de sourire en pensant à un personnage ou une histoire. T’as plus envie de les reléguer dans un coin de ta tête pour qu’il ne te dérange pas dans ta quête du bonheur (lol).


Alors que conclure de « Knockemstiff » ? Franchement, c’est vraiment difficile d’aller foutre une note à un livre comme ça. Car sur la forme, le recueil de Donald Ray Pollock est impeccable : l’écriture es sensationnelle, travaillée, et bosse dans en synergie avec sa misère qu’elle déploie. Le problème, à mes yeux, vient en fait du fond, de ce que traite Pollock au gré des pages. Je trouve cela très dur, et le malsain qui s’immisce dans les différents récits est parfois très, trop dérangeant. Et j’ai eu un peu de mal à trouver la motivation nécessaire pour finir une œuvre aussi désespérante (et j’emploie le terme ici au sens propre).
Si vous aimez les secoués du ciboulot, les fendus du casque, les gars qui ont des pulsions si basses que ça ferait tourner les yeux Bukowski, si vous aimez les histoires de dégoût, où les glaviots et les moucherons ont toute leur place, vous vous éclaterez certainement à la lecture de « Knockemstiff », d’autant plus que l’auteur s’en sort avec maestria.
Mais ce n’est pas dit, qu’au tournant d’un récit, vous ne perdiez pas un peu espoir, quand même.

Wazlib
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le 8 mai 2016

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