Des violences faites aux femmes, on peut en faire une multiplicité d'essais. L'originalité de « L » est justement d'être un recueil et de donner la parole à des auteurs dans le registre du fantastique pour illustrer ce drame passé sous silence. Des violences à la concupiscence, du silence contraint à la condescendance, des viols, des coups ou de ces non-droits flagrants qu'une lâcheté, pas seulement mâle, veille à éviter. Ces regards détournés qui nous empêchent de voir la réalité de nombre de femmes à travers le monde, pourraient être autant de réquisitoires où la peur de trouver cela trop dérangeant au travers de la lecture pourrait nuire à cette dernière. Le choix de la littérature fantastique est donc un bon moyen d'atteindre un lectorat qui ne s'y serait pas forcément penché spontanément. De même, c'est l'association Aurore – La Maison Cœur de Femmes qui perçoit les royalties de cet ouvrage. Cette association aide des femmes de tous horizons ou parcours à se reconstruire et leur permet au travers de diverses activités artistiques de prendre confiance en elles. Quinze plumes plus ou moins connues du grand public se sont prêtées à cette indispensable quête sous la direction de l'anthologiste Charlotte Bousquet.

C'est Nicolas Cluzeau et son « Legs d'honneur » qui ouvre le bal avec cette histoire d'honneur familial à racheter dans le sang de la femme qui porte la tâche. Une fin originale et un dépaysement font de cette nouvelle un voyage douloureux mais potentiellement révélateur de souffrances qu'on imagine si lointaines qu'on ne les évoque pas ici, alors qu'il n'est pas si éloigné le temps béni - par un dieu mort et ses dévots mâles – où on n'aimait pas tant brûler une sorcière de temps à autre quand elle avait l'idée saugrenue, ne serait-ce que de se vêtir en homme... Suit Li-Cam et « Luciole » où elle nous raconte ce jour où une jeune fille du désert devient une femme. La solitude que cela représente et tout ce poids que des générations de femmes passées et à venir portent sur leurs épaules. Un beau moment de poésie et de tristesse. « L Raider » de Virginia Schilli est plus énergique et nous entraîne dans le sillage d'une jeune fugueuse. Mais les mauvaises rencontres peuvent être funestes. Encore faut-il se demander pour qui ? Une nouvelle distrayante et musicale.

C'est toujours un grand plaisir que de lire Joëlle Wintrebert. Ici, c'est avec « Larme de laine » qu'elle nous fait partager l'étrange vie d'une fillette qui, capturée dans la forêt, se retrouve aux côtés de ses sœur d'infortune obligée de fabriquer des tapis. Mais le tisserand ne se doute pas qu'elle a des pouvoirs peu communs qui risquent de changer le rapport de force. Un conte plaisant. Lucie Chenu, dans « Lune de mon cœur », nous raconte comment une enfant libéra sa mère de la tyrannie d'un époux violent. La narratrice nous montre toute cette impuissance de l'enfance face à l'injustice de la violence gratuite du mâle sur sa chose. Une nouvelle poignante et réaliste. Passons à un thème plus fantasy avec « Lésions » de Maëlig Duval. Dans ce monde, les Ailés ont longtemps été les maîtres. Leur particularité est d'avoir des ailes à la place des bras, mais ce processus d'évolution n'est pas équitablement réparti car seules les femmes ont ces ailes alors que les hommes n'ont que de pitoyables moignons atrophiés. Mais cette société existe et persiste... jusqu'à ce que les Verruqueux les attaquent et fassent remonter à la surface des rancœurs inimaginables. Même si ce texte peut sembler de prime abord bien éloigné du thème de l'anthologie, il en est bien un des multiples regards celui de l'inégalité des sexes. Une bien belle métaphore, bien éprouvante.

« La bouche » de Nathalie Dau nous emporte vers une autre souffrance. Certes, il y a cette pratique barbare qu'est l'excision, mais plus ignoble encore est l'infibulation. C'est une femme qui a subi cela qui nous conte comment toute cette douleur se vengea un jour du mâle qui pensait que la barbarie suffit à rendre docile celles qui se taisent depuis trop longtemps. Un texte dur, comme Nathalie Dau nous y a habitué, qui est parfois à la limite du soutenable, même si ce n'est pas le sort du mâle qui m'a le plus épouvanté. Pour Menolly dans « L'âme bleue » c'est la soumission qui est mise en avant. La soumission de la femme qui accepte qu'on la frappe et qui en a même honte. La soumission de la société où chacun apprend à détourner le regard, à murmurer plutôt que de dénoncer l'inacceptable. Mais la soumission devient intolérable quand l'homme de la maison se met à frapper son propre enfant. Une histoire émouvante avec une fin en apothéose comme je les aime. « Liberté » de Justine Niogret est l'exemple même du texte poétique qu'on retrouve immanquablement dans les anthologies. Il y est question des femmes qui protègent le monde et des hommes qui se contentent d'y vivre. Une métaphore habilement mené, mais qui peut parfois déconcerté dans sa lecture.

C'est l'univers du harem qu'on retrouve dans « Laylat » d'Ambre Dubois où on suit une courtisane maintenant tombée en disgrâce qui survit dans cet univers de femme. Mais ce n'est pas pour autant un lieu de tout repos et la mort vous guette en permanence. Une belle démystification du gynécée. « La jetée » de M.B. Cras nous emmène dans un des multiples ports qui constelle notre planète pour suivre la vie ordinaire d'une de ces serveuses de taverne où marins et habitués se croisent. Une mauvaise ou une bonne rencontre y est toujours possible. Allez savoir. Pour Sophie Dabat et son « Libre choix » c'est La vie de Xis qui est en jeu. Dès l'enfance, les filles de ce monde sont sélectionnées pour devenir soit des génitrices soit des servantes. Les choix sont donc bien limités, alors quand on a la chance de pouvoir fuir cela on peut s'attendre à mieux, mais dans une telle société, c'est le pire qui est au rendez-vous. Un texte cruel qui exagère à souhait les traits d'un monde à l'Huxley, misogyne et cynique.

« Libera me » de Jean-Michel Calvez nous conte la vie de ces femmes sans-papiers qui ont beaucoup moins de moyens de se défendre que les hommes. Surtout quand elles ne connaissent pas notre culture pour avoir été privées d'éducation dans leur pays d'origine. Ces pièges peuvent se payer cash ici. On devine rapidement de quoi il s'agit et le lecteur s'efforce alors de se mettre à la place de l'héroïne pour mieux comprendre le dilemme qui se pose à elle. Pour Estelle Valls de Gomis et son « L.A. Woman » c'est l'errance d'un homme dans sa ville. L.A. décrite, aimée, bafouée comme une femme dont l'auteur lui donne les attributs. Un court exercice de style. Enfin le cauchemar que Sire Cédric nous réserve dans « Carnage » conclue avec brio cette anthologie. En effet, il est ici question de ces agressions dans les transports en commun où la plupart des passagers préfèrent détourner le regard plutôt que d'intervenir. Mais là, eux également, vont avoir une leçon, bien particulière. Une histoire mêlant trash et jubilation, un bonheur pour un esprit dérangé comme le mien.

C'est tout à l'honneur de Charlotte Bousquet et des éditions CDS d'avoir osé ce recueil. Le sujet est, de prime abord, rébarbatif mais le recours à des auteurs du fantastique marche à merveille car, tout en restant un recueil de bonne facture, cet ouvrage permet la prise de conscience de la situation de trop de femmes encore dans notre monde moderne, et pas forcement si éloignées de nous. Une excellente idée où seule la joie est le sentiment que le lecteur ne peut ressentir. Une audace qui se transforme en réussite. A noter, l'intrigante couverture de Fabien Fernandez qui colle parfaitement à tout ce qui peut se cacher sous cette peau de papier.
Bobkill
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le 10 nov. 2010

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