Disons-le tout de suite : c'est drôle. Et étant donné que le comique est la base de tout vaudeville, mieux vaut rassurer le monde derechef à propos de celui-ci. Et il me semble aussi important de préciser que la pièce n'est pas de Labiche seul, comme on a tendance à le croire dès qu'il s'agit de ses comédies, mais née de sa collaboration avec Albert Monnier et Édouard Martin ; car Labiche a beaucoup écrit en collaboration, et ses compagnons de plume sont presque toujours oubliés.


Nous voici donc avec un argument de départ dont les scénaristes de Very Bad Trip, plus d'un siècle après L'affaire de la rue Lourcine, vont faire leur beurre : Lenglumé, un bourgeois rentier, se réveille dans son lit aux côtés de Mistingue, un ancien compagnon d'études. Pourquoi ? Ils n'en savent rien. S'ils ont le vague souvenir d'avoir participé à la même soirée la veille, rien d'autre ne leur revient en mémoire. Voilà qui ne les préoccuperaient guère, s'ils ne découvraient des objets insolites parmi leurs effets, et des traces bizarres sur eux-mêmes. Le principal souci de Lenglumé sera de taire à sa femme qu'il est parti se soûler toute la nuit de la veille. Jusqu'à ce qu'il tombe sur un vieux journal de 1837 que lui donne son domestique (on est vingt ans plus tard), mais qu'il croit dater du jour même, et qui annonce le meurtre d'une jeune charbonnière dont le corps mutilé a été retrouvé rue de Lourcine. Et voilà que les quiproquos démarrent en trombe, et s'enchaînent sans relâche. Les deux compère sont certains d'être des meurtriers (ils se trouvaient bien rue de Lourcine), d'autant que tout, mais alors tout coïncide pour les induire en erreur, chaque fait, chaque objet, chaque trace , chaque intervention d'un tiers trouvant sa correspondance avec le meurtre. S'enivrant pour se soulager, Lenglumé et Mistingue, effondrés de découvrir qu'ils sont deux scélérats de la pire espèce, sont encore plus soucieux de cacher leur crime et de faire disparaître, si ce n'est un cadavre, du moins tout indice - de manière absolument loufoque, cela va sans dire. Et vont peu à peu basculer dans une frénésie de projets meurtriers, afin de faire disparaître également tout témoignage les accablant.


C'est aussi réussi du côté des personnages (excepté celui de Norine, la femme de Lenglumé, pas très travaillé) que du côté du rythme, et la comédie monte en intensité tout comme en situations saugrenues, telle cette manie qu'ont Lenglumé et Mistingue de se laver sans cesse les mains - référence, vous l’aurez compris, à Lady Macbeth. Le choix de faire connaître aux spectateurs la méprise de départ est bien trouvé et marche à fond, les quiproquos suivants sont très efficacement exploités et fonctionnent à la perfection. C'est donc drôle, je le disais, mais la fin se révèle décevante. Se terminant sur un drame involontaire, le tout retombe comme un soufflé, le rythme s’essouffle durant toute la dernière scène. C'est quand même bête de se rater sur la dernière scène... En revanche, on imagine bien, à la lecture, comment un metteur en scène peut tirer parti des situations farfelues de ce vaudeville, vaudeville qui trouvera une descendance dans le cinéma, avec des films comme Arsenic et vieilles dentelles, et autres comédies sur ce genre de thème.

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