L'Ami
7.3
L'Ami

livre de Tiffany Tavernier (2021)

Trouver de la lumière dans une nuit que rien n'éclaire.

J'ai décidé de prendre le temps de partager mes impressions sur ce roman. C'est toujours un travail éprouvant pour moi d'écrire une critique parce que j'écris sur ce qui me bouleverse. Que ce soit noir, blanc, ou parfois gris. Ce soir et ces deux dernières semaines pour être exacte, c'est noir. Et écrire sur ce qui est noir, cela implique de faire durer cette noirceur au-delà du livre que l'on vient de refermer.


Pourtant, il le faut. Parce que ce noir existe. Parce que l'on veut comprendre cette couleur et que l'on s'acharne en sachant parfaitement qu'aucune réponse ne conviendra ni ne parviendra à nous apaiser. Je le fais quand même.


Je le fais quand même parce que je veux saluer le travail de Tiffany Tavernier d'une part, et parce qu'à travers cette histoire, elle fait passer tellement d'émotions fortes et importantes. Et lorsque quelque chose nous paraît important, on a ce besoin de le partager, de le retransmettre à qui veut bien l'entendre (ou le lire, mais la finalité reste la même).


C'est un 6/10 généreux et à la fois déchirant de sincérité ou d'une sincérité déchirante, cela marche dans les deux sens. 6 n'est pas un chiffre d'exception mais à mes yeux il a du sens ici et c'est un 6 de 24 carats. Cela peut paraître contradictoire mais comme je l'écrivais plus haut, quelques fois, les réponses que l'on cherche ne nous conviennent pas. J'ai une réponse à ce 6 de 24 carats mais je ne garantie pas qu'elle soit satisfaisante.


Attention, spoil alerte à partir d'ici.


J'ai tant de choses à raconter sur ce roman que je ne sais pas par quoi commencer. Déjà je remercie Tiffany de nous offrir pour une rare ou une ultime fois que sais-je, le point de vue d'un "simple voisin". C'est ce que j'ai préféré dans cette œuvre, cette originalité imprévisible de perspective. Je suis à présent inévitablement obligée de rentrer dans le vif du sujet pour en expliquer la raison.


Avec violence, comme cela, je vous annonce que votre voisin, l'homme à quelques mètres de vous, votre ami, parce que cela fait bien des années qu'il vit ici à vos côtés, est un violeur et un tueur en série. Cet homme avec qui vous avez partagé moult repas, joué aux cartes, vous l'avez aidé à réparé la vitre de sa fenêtre cassée, vous lui avez dépanné des œufs et de la farine en lui demandant combien il avait d'invités, vous lui avez prêté vos outils de bricolage, votre scie et compagnie. Vous adorez partir en ballade avec lui en forêt, vous vous confiez à lui, c'est votre ami. Vous n'en avez qu'un seul et c'est lui, votre voisin. Vous échangez des sourires qui semblent si sincères, si remplis d'amour quasi fraternel. Et puis un jour…


Vous découvrez sa vraie nature : il viole des petites filles, les tuent et les enterrent dans son jardin. Ce jardin à côté de votre jardin à vous. Dans le jardin d'à côté repose le corps de plusieurs fillettes qu'il a torturé. Il y en a même une qui rêvait d'être couturière, rendez-vous compte. (J'ai l'impression que ma critique est encore plus violente que le texte en lui même tant je suis abattue par ce roman). Mais voilà, vous êtes son voisin à ce monstre que vous pensiez être un ami. Vous n'êtes pas ses parents, vous n'êtes pas un parent des victimes non plus, vous êtes son voisin. Et c'est là que je félicite le travail de Tiffany Tavernier qui nous fait entrer dans la peau d'un Thierry que l'on a l'impression de connaître et même d'être.


Thierry, c'est ce voisin à la vie bien rangée. C'est un collègue de travail, un mari fou amoureux de sa femme avec laquelle il mène une vie simple et harmonieuse, un père de famille qui est triste que son fils ne soit plus à la maison, c'est tout. Et un jour, toute sa vie s'écroule parce que c'est le voisin de ce monstre, Guy, et qu'il n'a rien vu, quasiment rien entendu. Parce que malgré les indices, c'est impensable. Tout s'écroule.


C'est fort d'être aller au bout d'une histoire aussi noire, aussi ravageuse. Il faut bien du courage pour choisir un tel sujet comme base de construction d'une histoire. Il faut maintenir le cap. Tout paraît si réel. Ce n'est pas un roman policier, qu'on soient bien d'accord. Il n'y a pas d'enquête, on a déjà notre coupable et ce qui est mis en avant ici relève uniquement de la psychologie des personnages autour de cet évènement. Comprenez la nuance. Oh, et… je me demande par ailleurs si ce n'était pas inspiré de l'affaire Guy Georges (?)
Alors c'est dur à lire. Mais c'est du bon travail. J'ai encore tant de choses à dire/écrire mais je n'ai même plus la force de continuer. Alors en écrire un roman entier, je dis bravo.


C'est un 6 généreux parce qu'en terme de littérature, c'est certes bien écrit mais ça reste trop accessible et moi j'aime mieux la complexité des mots. Le personnage de Chantal, la femme de Guy qui est complice, à priori de force, a son importance et son personnage a été mis en suspens dès le début, ce qui constitue une erreur fondamentale dans la construction de cette histoire. C'est une histoire centrée sur Thierry, sur sa réconciliation avec son passé difficile en corrélation avec ce drame mais c'est si fort que cela fait de l'ombre aux autres personnages et bien que n'ayant pas d'explications (aussi impossibles soient-elles) concernant les actes de Guy, j'aurais au moins aimé savoir pourquoi Chantal a été impliquée dans ces atrocités. D'où ce 6 de 24 carats.


Quoi qu'il en soit, c'est un roman indéniablement marquant qui met en relief toutes nos émotions mélangées face à l'inconcevable. Et pour reprendre les mots de l'autrice (puisque la morale se veut positive) : "la lumière gagne toujours".

meggysawyer
6
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le 9 déc. 2021

Critique lue 218 fois

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