L'Ancêtre
7.9
L'Ancêtre

livre de Juan José Saer (1983)

Au début du XVIe siècle, alors qu’on sait désormais que les Indes sont accessibles par l’ouest – ce qui ne signifie pas pour autant que Magellan a déjà découvert le détroit qui isole la Terre de feu du reste du continent sud-américain, mais simplement qu’une vaste terre a été aperçue loin vers l’ouest, au-delà de la mer –, trois navires appareillent. A son bord, un jeune garçon de 15 ans : orphelin et sans rien qui le retient en Europe, il est engagé comme mousse sur le navire amiral.
Traversée de trois mois pour toucher terre dans la région du Rio de la Plata (entre Uruguay et Argentine), alors vierge de toute présence occidentale. On débarque, on se jette sur le sable, on pique un sprint sur la plage, on saute en l’air : on est heureux de retrouver le bon vieux plancher des vaches. On remonte à bord pour débarquer un peu plus loin. De saut de puce en saut de puce, les navires parviennent à l’embouchure de fleuves immenses que le capitaine remonte sur quelques encablures : il semble chercher quelque chose mais lui seul est au parfum : on n’en saura pas plus sur le pourquoi de sa mine préoccupée.
Puis, c’est le drame : sous les yeux des matelots restés à bord, l’expédition de reconnaissance – à laquelle participaient le capitaine et le jeune garçon – est massacrée par les autochtones. A la seule exception de ce dernier qui est emmené avec une certaine déférence. L’adolescent va passer dix ans en leur compagnie avant d’être découvert par une autre expédition et ramené à la mère patrie.
De son expérience chez les indiens, le narrateur en dit tout d’abord peu. Leur vie chaste, pudique et proche de la nature dont ils dépendent s’interrompt une fois l’an pour laisser place à une orgie tonitruante : les chasseurs rapportent de la viande humaine qui est consommée avec délice, l’alcool est absorbé dans des quantités effrayantes avant de sombrer dans une débauche de sexe inimaginable et décrite crûment par l’auteur. L’enfant y assiste en observateur apathique, amorphe. Il ne comprend pas ce qui se déroule sous ses yeux et mettra des années avant de percer le langage de la tribu, leurs coutumes et leurs croyances.
A son retour, il est intégré dans un couvent. Il a eu de la chance de ne pas être conduit au bûcher : la très Sainte Inquisition, toute puissante à l’époque, n’ayant visiblement pas été effrayée par tous les péchés qu’on supposait entacher l’âme de ce jeune homme de retour de chez les sauvages. On en avait pourtant brûlé beaucoup pour bien moins que cela.
Cinquante ans plus tard, alors très âgé, le narrateur prend sa plume et s’astreint à conter son histoire et de conclure dans le dernier quart du livre sur sa vie passée dans la jungle : qui étaient ces indiens, leur vie, leurs superstitions. Son interprétation quant à leurs peurs, leurs souhaits en mettant bout à bout ce qu’il est parvenu à comprendre d’eux au cours de son séjour. Le romancier cède à cette occasion la place à l’ethnologue, au philosophe qui juge sévèrement la société occidentale ignorante au regard de son expérience au sein d’un peuple vivant en équilibre avec son environnement, non comme le maître des lieux, mais comme une entité parmi tant d’autres.
Pour ce troisième livre de Saer à me passer entre les mains (après « Le fleuve sans rive » et « L’enquête »), je n’ai toujours pas réussi à me passionner. L’écriture est dense et sans chapitre, belle, riche, mais empreinte d’un lyrisme certain : des phrases à rallonge dans lesquelles s’enchainent les compléments, abondent les virgules hachant la prose et rendant au final la lecture un tantinet lourde.
Ce livre est toutefois le plus intéressant des trois que j’ai eu l’occasion de lire. Mais sans doute pas suffisamment pour laisser présager un quatrième dans un avenir quelconque.
BibliOrnitho
6
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le 30 avr. 2014

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