Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

J’écris ces lignes pour toi, lecteur hésitant, lecteur apeuré, lecteur énervé, qui tient ce pavé de 1100 pages, intrigué : dois-je commencer et me lancer dans cette monstrueuse œuvre ? Faut-il vraiment que je continue à m’enfoncer dans ces limbes ? Car les voix s’élevant contre L’Arc-en-ciel de la gravité sont finalement peu nombreuses : beaucoup louent un chef-d’œuvre, une œuvre monumentale, un roman inclassable qu’il faut absolument lire. La renommé de Pynchon n’est plus à faire, et le National Book Award en 1974 pour ce livre vint couronner une certaine manière de faire de la littérature.


Pour commencer, j’aimerais me défendre : j’adore Vente à la criée du lot 49, roman le plus court de Pynchon, bourré d’humour, de trouvailles et parsemé d’une complexité qui n’est pas rebutante car elle ne s’étale pas sur des centaines de pages. Je suis un peu moins fan de Vice caché… Bref, après ces deux romans, j’ai donc décidé de me lancer dans ce marathon qu’est L’Arc-en-ciel de la gravité, peut-être LE livre de Pynchon par excellence, à côté de V..


L’histoire ? Vers la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Tyrone Slothrop, Américain, se révèle capable de prédire l’emplacement des lieux de bombardements qui ravagent Londres grâce à ses érections. Les services secrets britanniques et américains décident de s’intéresser à Slothrop de plus près… On croisera alors une pieuvre géante, un voyage en ballon, un casino de la Côte d’Azur, des chiens sur lesquels on pratique des expériences, des fusés, des explosions, des scènes de sexe rebutantes, des stars de cinéma, etc.


Lu en un peu plus de 3 semaines, j’ai éprouvé très peu de plaisir à cette lecture. La double complexité me rebute. D’une part, celle de la langue, où les mots se chevauchent, les dialogues perdent leur sens, la linéarité du récit s’estompe, les phrases se télescopent. D’autre part, celle de l’intrigue elle-même : il y a en effet énormément de personnages et il est parfois difficile de s’y retrouver. Mais Pynchon s’amuse aussi à faire des digressions, des paraboles, des descriptions hyper précises, à glisser des références obscures (notamment au cinéma de cet époque). Les deux difficultés sont liées : la difficulté de la langue ne renforce pas la compréhension de l’intrigue, et l’intrigue est rendue brouillonne par une langue complexe. On peut donc lire une dizaine de pages sans rien comprendre pour se rattraper sur les cinq pages suivantes.


Et voilà les détracteurs : « mais c’est là toute la beauté de cet ouvrage ! La complexité ! Il est normal de ne pas tout comprendre ! Il convient de faire plusieurs lectures ! » Et là, je me marre. Aucunement je ne ferai plusieurs lectures d’un ouvrage qui s’est révélé si laborieux lors de sa première lecture. On me rétorque alors : « L’Arc-en-ciel de la gravité est complexe car le monde qu’il dépeint est complexe ! ». Or, selon ma conception un peu bourgeoise et datée de la littérature, la littérature aide à comprendre le monde et à s’en saisir : on peut très bien révéler la complexité du monde sans adopter un ton et une structure difficiles. De même , on peut très bien dépeindre l’ennui sans écrire un livre chiant (cf Madame Bovary, Oblomov…).


Enfin, à ceux qui n’aiment pas ce livre, les fans leur feront remarquer que Pynchon dynamite le roman, que développer une intrigue avec des personnages et des péripéties, c’est bien trop old school. C’est comme le postulat de la musique contemporaine (Boulez et confrères) : franchement, la tonalité et la mélodie sont dépassés. Pour autant, on revient encore et toujours à une bonne vieille mélodie et à des harmonies.


L’esprit a besoin de structure, et surtout sur 1 100 pages.

JulienCoquet
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le 13 mai 2021

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Julien Coquet

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