Des honneurs aux horreurs
Notre narrateur est un exemple de réussite. Médecin réputé, chirurgien qui a réussi à se faire un nom parmi les plus grands, il cumule succès professionnel et personnel. Il vit dans une belle villa de Tel'Aviv et son ménage est un exemple du bonheur conjugal.
Tableau idéal jusqu'à ce jour où il apprend que sa femme est morte dans un attentat. Jusqu'à ce moment où la police va l'interroger pendant trois jours d'affilée.
Parce que sa femme n'était pas une victime de l'attentat. C'est sur elle que se situaient les explosifs qui ont ravagé un restaurant bondé.
A partir de ce moment-là, le roman va suivre deux voies entremêlées. Un côté psychologique : comment accepter que son épouse, celle qu'il croyait connaître à la perfection, celle en qui il avait une confiance absolue, soit une terroriste ?
Et un côté politique. Très vite, le narrateur se rend compte que sa réussite n'est qu'un mince vernis qui ne masque pas la triste vérité. Il s'appelle Amine Jaafari, il est arabe naturalisé israélien. Et il va vite comprendre que dans une telle situation, être arabe signifie être suspect. Qu'aux yeux des autorités de son pays, il n'est pas aussi israélien qu'un juif. Il a beau ne pas être croyant, il a beau avoir entièrement tourné le dos à son passé et à sa famille, il a beau avoir renié ses racines, il n'est jamais qu'un citoyen de seconde zone dans cet état qui se qualifie "d’État Juif".
Les deux aspects vont se mêler, s'entrecroiser puis se confondre. Amine va tenter de refaire le parcours de sa femme. Il va chercher qui a pu la pousser à commettre un tel acte. Il va partir à la recherche d'un cheikh islamiste aux discours enflammés ou d'un réseau terroriste criminel. Et le parcours qu'il va accomplir ne sera pas innocent. De Tel'Aviv la moderne, il va partir vers Jerusalem, Hebron puis Janin. Il va s'enfoncer toujours plus loin vers la Palestine. Il va découvrir, à chaque étape, une situation de plus en plus dégradée, des conditions de vie (de survie plutôt) de plus en plus horribles.
Ce voyage lui permettra également de retrouver ses racines. Plus il va avancer, plus il renouera avec sa famille, avec son passé.
Tout cela va permettre à l'auteur, Yasmina Khadra, de donner sa vision du problème israélo-palestinien. Une vision qui, hélas, passe parfois par des propos d'une grande banalité, du genre : "mourir pour des idées, c'est pas bien" ou encore "envoyer les autres se faire tuer, c'est pas gentil". C'est cependant sur la fin de ce court roman (250 pages) que le propos s'affine et que l'analyse politique devient meilleure.
Dans la première partie, on peut toutefois lire un portrait assez brutal d'Israel, entre paranoïa sécuritaire, mémoire invasive de la Shoah, et un balancement paradoxal entre multiculturalisme et enfermement sur soi.
L'analyse psychologique d'Amine m'a paru bien plus intéressante. c'est peut-être bien là que Khadra atteint les véritables pages politiques de son livre, avec une réflexion sur l'identité et l'engagement.
SPOIL SPOIL SPOIL
Dans l'organisation du roman, il y a un détail que j'ai beaucoup aimé. Les trois premières pages sont reproduites à la fin. Il s'agit d'un attentat dont le narrateur est une victime. Sauf que la vision de cet attentat est complètement inversée entre le début et la fin. Au début, j'étais convaincu que c'était un attentat terroriste contre des Juifs. A la fin, il s'agit d'une attaque militaire israélienne contre des Palestiniens. Et pourtant, la description strictement identique montre bien que ce conflit ne fait que des victimes, quel que soit le côté. Comme tout ce roman qui montre que la responsabilité de l'engrenage de la violence est partagé des deux côtés. Que cette violence se nourrit d'elle-même.
FIN DE SPOIL
Un roman très facile et rapide à lire dont la fin est vraiment magnifique. Avec, hélas, un passage à vide au milieu dû à des propos un peu caricaturaux.
