Un récit documenté sur la folie des hommes.

Bienvenue sur les bords du lac d'Ohrid, le lac le plus profond des Balkans et l'un des plus vieux du monde avec le Baïkal et le Titicaca.
Kapka Kassabova est née en Bulgarie, puis est partie en Australie lorsqu'elle était adolescente. Elle retournera quelques années plus tard en Macédoine afin de renouer contact avec une partie de sa famille restée dans les Balkans.


L'autrice cherche des réponses à des questions familiales, et à comprendre les raisons des si nombreux déchirements qu'ont vu passer ces lieux.


Le livre nous expose les nombreux conflits que les différenciations constantes avec autrui sont capables de créer. Car nous sommes dans les Balkans, les habitants s'y distinguent tous de façon zélée ; que ce soit sur la nationalité et/ou le sang (Un albanais vivant en Macédoine sera "différent" d'un albanais vivant dans les terres d'Albanie...) la religion, les convictions politique, et pire encore, la réputation de la famille.


De nombreuses anecdotes racontent la folie des hommes : d'Alexandre le Grand à la chute des régimes communistes dans les années 1990, et de la bataille rangée à la vendetta familiale. Kassabova nous raconte que dans ce décor somptueux, face à ces montagnes et ces lacs millénaires figés dans le temps, l'humain trouve toujours de quoi se différencier de l'autre pour justifier l'assassinat ou la persécution.
Les hommes contemplent la beauté du lac, et ce dernier assiste, impuissant, à la folie des hommes.



Ici, la souffrance avait atteint de telles extrémités que la moindre bribe de grâce susceptible de la transcender recelait une beauté particulière.



Au fil de ses pérégrinations, Kassabova rapporte les histoires liées à tel ou tel endroit. Elle s'aide du récit des guides, souvent masculins, ainsi que de ses hôtes, pour étayer son histoire. Chacun de ses interlocuteurs se confie sur ses aspirations et ses perspectives d'avenir.


Comprendre, et faire comprendre.


Parfois, un élément de folklore et de mythologie se glisse au milieu du récit. Les anecdotes personnelles et axées sur la famille de l'autrice sont, au final, plutôt rares. Ceux qui attendent une grosse part d'autobiographie resteront sur leur faim.


J'aurais apprécié quelques anecdotes personnelles supplémentaires. Au final, nous avons presque l'impression d'une compilation un peu morbide sur les exactions, les guerres, l'exil des jeunes, la pauvreté.
Mon intérêt pour le récit s'en trouvait accru lorsque l'autrice se disputait avec son guide sur la cueillette d'une fleur, ou lorsqu'une mère la suppliait d'épouser son fils.




« - Emmène-le, m'a-t-elle supplié. Il a une belle âme. Épouse-le. Ou bien fais-en ton amant, emmène le aux Pays. Pour l'amour de Dieu. Il n'y a rien ici.»




Cette anecdote était vraiment poignante.


Au final, une belle exposition de l'aliénation que crée les nationalismes. Ces nationalismes et ces entre-soi qui se transforment en diasporas à l'étranger (l'exemple des grands-parents d'un de ses proches, émigrés en Australie, qui ne font aucun effort pour apprendre l'anglais et continuent à lire la presse Yougoslave).
Un presque-documentaire sur l'Histoire et la santé des nations que sont la Macédoine et l'Albanie, parsemé de mythologie et sur fond d'une quête personnelle.



(...) le simple fait d'être là, tout ceci m'emplissait d'un espoir doux-amer : le monde n'était peut-être pas voué à l'échec, en fin de compte. Pas tant que le lac serait là, et une poignée de personnes encore capables de bonté.


ChevalierOnion
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le 8 nov. 2021

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