Depuis un certain temps déjà, je sais que ce livre est ma malédiction. L'année de sa sortie, j'ai lu les premiers chapitres grâce à l'extrait Amazon, et j'ai tellement, tellement détesté que cela m'a motivé à créer une liste Senscritique sur les livres dont l'extrait m'a refroidi, liste aujourd'hui défunte faute de motivation à lire d'autres extraits de livres de merde. Mais, curieusement, une certitude s'était logée au fond de moi et me dévorait de l'intérieur : je savais que je serais un jour obligé de lire L'extraordinaire voyage du fakir. Ca n'a pas manqué. Dans le cadre de mes études, au hasard de mes travaux personnels, il m'a été dit qu'il m'était nécessaire de le lire. Même s'il s'agissait d'un mauvais livre, que je le savais, que la personne qui m'a demandé ça le savait, je devais m'y coller. Une malédiction qui s'est réalisée cinq ans après ses prémices.
Peut-être qu'au fond de moi, je savais pourquoi cette malédiction : parce que, comme de rares fois dans ma vie, j'avais conscience d'avoir jugé rapidement. Sans doute pas trop rapidement, car les premiers chapitres du livre sont effectivement puissamment infâmes, mais de manière injuste tout de même. J'ai pour habitude d'éviter les préjugés, les jugements préformatés, autant que faire se peut, et je savais pertinemment avoir dérogé à cette règle, furieux que j'étais de ce que j'avais lu. C'était écrit : ce livre et moi, on allait se rencontrer et se confronter à nouveau, cette fois dans les règles de l'art.
Ajatashatru Lavash Patel, fakir rajasthanais, se rend en France pour acheter le tout nouveau modèle de lit à clous chez Ikea, et si vous êtes encore là après cette phrase je vous félicite pour votre courage. Malheureusement pour Aja, un concours de circonstance insolite et horriblement forcé va le conduire à traverser toute l'Europe (notamment), poursuivi par une alliance de gitans assoiffés de sang (et de 100, les cent euros que le fakir a volé au taximan qui l'a conduit au Ikea et qui cherche désormais vengeance). Dans le même temps, Aja découvre l'amour et l'empathie, et décide de laisser derrière lui sa vie d'arnaqueur pour devenir écrivain sur chemise, s'il arrive à cesser de voyager en armoires...
J'ai vraiment, vraiment du mal avec ce livre. C'est un condensé de tout ce que je n'aime pas : c'est un pitch racoleur qui ressemble à une mauvaise histoire drôle que son auteur n'a pas réussi à terminer dans l'intervalle de trente secondes à une minute que devrait durer une histoire drôle, ce sont toujours les mêmes gags qui reviennent, c'est beauf et facile, et c'est objectivement relativement mal écrit. Le style se veut dans la lignée par exemple d'un Douglas Adams (nonsense et jeux dans la narration), mais sans la même fraicheur ni la même maitrise. On dirait la novélisation d'une mauvaise comédie française, l'ironie du sort ayant d'ailleurs fait qu'un film a été tiré du livre...
Mais. Je l'ai dit, je dois me confronter, à moi, au livre, à la réalité des choses. Les premiers chapitres, pris sans le reste, ne reflètent ni le ton de l'oeuvre, ni son style, ni son sens. Cette histoire de fakir nous renvoie en réalité à nos propres préjugés (technique que je trouve aussi douteuse que maladroite, et qui finalement ne fait ressortir que les préjugés de son auteur, cela dit). Il apparait de fait assez vite que le style beauf de l'oeuvre renvoie à une certaine beaufitude qui est dénoncée de cette manière, mise en opposition avec la réalité dramatique, notamment, de la crise des migrants. Je n'aime pas ce procédé. Je l'ai dit, je trouve cela maladroit et douteux. Cela dit, comprendre le sens réel de ce procédé demande de dépasser les premiers chapitres, et de lire l'oeuvre dans son ensemble. Ne soyez pas comme moi. Lisez, lisez de mauvaises et de bonnes choses, faites-vous une opinion neuve et personnelle. Ce second roman de Romain Puértolas n'est pas pour moi un bon livre parce que ses procédés me paraissent éculés et complaisants, mais d'autres y trouveront de l'originalité et des idées auxquelles ils n'auraient peut-être pas accès autrement. La seule opinion qui vaille est celle qui est originale, authentique, forgée à l'aide de votre goût, de vos référents et de vos idées. Elle demande d'être juste et éclairée d'une lecture globale et détachée autant que faire se peut d'idées préconçues. Soyez ouverts, et peut-être que vous aimerez L'extraordinaire voyage pour ses qualités : version moderne des Lettres persanes traitée sur le mode de la légèreté et s'inscrivant dans l'actualité sociale et géopolitique, c'est une oeuvre fantasque, qui revendique des inspirations plutôt sympathiques et qui cherche à faire passer de bons sentiments, peut-être avec un peu trop de naïveté, ou peut-être avec ce qu'il faut de naïveté pour y croire encore.
Je n'ai pas aimé, je n'ai pas détesté, mais je me suis réconcilié.