Tout débuta, ou plutôt repris, à Noël dernier : cela faisait plus de six ans que je n’avais pas posé les yeux sur les aventures d’Eragon, et n’avait donc pas daigné lire son dernier volume à sa sortie en raison d’un intérêt limité. Et puis, la magie des fêtes opéra, et le dernier volume jusqu’alors ignoré se retrouva en ma possession : une occasion toute indiquée pour se replonger dans un lointain passé, là où Saphira et son dragonnier en herbe emballait (dans un premier temps) le marmot que j’étais.
Bref, voici une lecture tardive de L’Héritage, savamment mise en relief par un nouveau regard : la saga phare de Christopher Paolini est un petit divertissement jusqu’ici sympathique, mais dont l’écueil « référentiel » et une myriades d’autres détails empêchent nettement le sacre critique. L’Héritage, volume éponyme donc, épouse sous toute ses coutures ce qui fut l’ADN d’une trilogie remaniée en tétralogie, et conforte bien des observations à l’aune d’une conclusion non ratée... à défaut d’être pleinement satisfaisante.
Plutôt que de s’épancher en vain sur un corps d’intrigue dans la droite lignée de ses prédécesseurs, je tendrai davantage à clôturer cet ultime papier selon deux axes : le dénouement bien sûr, dicté en grande partie par le (trop) rare Galbatorix, et de ce que souligne L’Héritage à une échelle plus globale, celle d’une saga littéraire criblée de symptômes limitatifs.
Le traitement de cet antagoniste ultime qu’est le roi félon est à juste titre central ici, lui qui fut sciemment absent des trois premiers romans (si ce n’est une brève apparition dans Brisingr) : une présence des plus réduites donc, et une interrogation croissante quant aux intentions véritables de Paolini, lui qui risquait à petit feu de se passer la corde autour du cou en raison d’une entrée en scène (hypothétiquement) médiocre.
On passera outre le classicisme monumental du personnage, le soupçon de matière apporté à ses aspirations mégalomaniaques s’avérant tout aussi commun, si ce n’est un poil incohérent à bien y regarder : comme escompté, l’auteur ne se sera pas facilité la tâche en dressant, dans l’ombre, un obstacle insurmontable à l’adresse d’Eragon et cie., un biais (que l’on imagine) voulu mais influant négativement le bon équilibre entre tension, vraisemblance et rebondissement(s).
C’est d’autant plus regrettable que le jeune auteur s’en tire finalement plutôt bien, tout du moins au sortir d’une lente et handicapante montée en pression : non dénué de sens, la solution apportée au cas Galbatorix oscille donc entre bonne idée et un boulet narratif jusqu’au bout prégnant, la teneur abrupte de sa chute contrastant de milles feux avec l’envergure mythologique du personnage. Vient ensuite une long « épilogue » nous narrant l’après Urû’baen, emprunte d’un rythme naturellement en berne et donc sujette à bien des difficultés au niveau du tempo : mais là encore, Paolini s’en sort à bon compte, celui-ci s’échinant à conclure au mieux nombre de pans scénaristiques distincts... quitte à trop en faire (mais nous y reviendrons).
Cependant, le devenir du tandem Eragon-Arya assombrit largement ce tableau somme toute correct, l’auteur s’évertuant à respecter à la lettre une prophétie passée (« ciao l’Alagaësia ») afin de justifier une fin crève-cœur à outrance : il en résulte donc un sentiment d’incompréhension où l’émotion ne pointe qu’à grand-peine, là où cette séparation ad vitam aeternam sonne tragiquement faux... sérieusement, les deux gus vont vivre des milliers d’années, vous aller me dire que Paolini n’y a pas songé ? Diantre.
Mais passons, L’Héritage est désormais arrivé à son terme, et il est temps de revenir (une dernière fois) sur ses évidentes limites : en fait, s’il fallait résumer la tétralogie à une composante, il s’agirait en tout point de l’expérience de son auteur, berceau d’une latente sensation de « rafistolage » de bout en bout. En ce sens, l’univers qu’il tissera contre vents et marées n’aura jamais été en mesure d’immerger totalement le lecteur en son sein, le poids des influences, le conventionnalisme du tout et cette manie de devoir tout justifier/éclaircir formant un cocktail désenchantant des plus insidieux.
En quelque sorte victime de son propre succès, Paolini aura donc souffert d’une maladresse d’écriture logique et excusable, faisant de L’Héritage une entité fantaisiste parfaite pour qui découvre le genre (les plus jeunes), mais à des années-lumière des pierres angulaires en assurant la notoriété. De l’entrée de gamme dans l’ensemble plaisante donc, et une curiosité non feinte quant à la poursuite de la carrière du romancier états-unien : reste à savoir si celui-ci saura corriger le tir ou, mieux encore (quoique bien plus ardu par bien des aspects), rebondir en d’autres lieux.