SsssSsSsSSSsssSSSssssSSsssSSSsSS (ça veut dire "parfait" en langue des serpents).

Des bons livres, il y en a beaucoup, et il y en a de toutes sortes. Il y a d’abord ceux qui connaissent un succès retentissant, ceux dont tout le monde parle et que tout le monde lit, même ceux qui n’aiment pas lire. Il y a également ceux qui ne sont pas du tout connus – voire qui n’ont jamais été édités – mais qui gagneraient à l’être, quitte à recycler quelques romans de Guillaume Musso pour ne pas abattre encore des arbres afin de les imprimer... Enfin, il y a ceux qui sont connus sans l’être, les pépites sur lesquelles on tombe presque par hasard au détour du rayonnage encombré d’une librairie. L’homme qui savait la langue des serpents est de ceux-là !


En Estonie, pays d’origine de l’auteur, ce livre a fait un véritable tabac lorsqu’il a été édité, en 2007. En France, il a fallu attendre 2013 pour pouvoir le lire... Eh oui, ce n’est pas comme avec les bouquins en anglais. Vous avez beaucoup de copains qui parlent estonien, vous ?! Bref, cette petite pépite a fini par arriver dans l’Hexagone et a bénéficié d’une traduction très agréable à la lecture. Elle a même remporté le Grand Prix de l’Imaginaire, c’est dire... Et pourtant, je n’en avais jamais entendu parler, pas plus que les personnes à qui j’ai demandé si elles connaissaient ce roman.
Bon, je pense que vous avez commencé à comprendre ce que je pense de ce livre : entre les 10 étoiles en haut de la page et les jolis adjectifs avec lesquels j’ai parfumé les deux premiers paragraphes de cette critique, il est évident que je vous recommande chaudement ce petit bouquin.


Alors, de quoi ça parle, en quelques mots ? L’histoire se déroule en Estonie, au cours d’un Moyen Âge des plus moyenâgeux, avec tout ce qu’il faut d’obscurantisme, de crasse et d’hémoglobine. Tardivement colonisée par les populations germaines catholiques, l’Estonie est restée « primitive » pendant très longtemps... Et c’est quelques décennies après le début de cette colonisation que commence ce roman. Le personnage principal, Leemet, est l’un des derniers estoniens à vivre dans la forêt, à respecter les anciennes traditions, et surtout à savoir l’ancestrale langue des serpents qui lui permet de communiquer avec les animaux. Tandis que tous les habitants de la forêt renoncent
progressivement au bonheur de vivre dans les bois et se laissent séduire par la vie villageoise (agrémentée de travaux aux champs, de prières, de chants grégoriens, etc.), Leemet et quelques résistants voient leur monde s’effondrer. Entouré par son tonton taré, son pépé aussi querelleur que cul-de-jatte, sa sœur zoophile (eh oui, dans la forêt, toutes les femmes ont un faible pour les ours, et
ça ne choque personne !), sa mère qui passe ses journées à cuisiner de l’élan à la broche, et son ami(e) la vipère royale, notre protagoniste a de quoi faire !
Autant le dire tout de suite, L’homme qui savait la langue des serpents n’est pas un roman comme les autres. Certes, il raconte une histoire. Mais surtout, il critique l’histoire ! Plus qu’un roman, c’est une fable, un pamphlet à l’encontre du changement, ce fameux « progrès » qui nous fait régresser. En effet, les Estoniens, qui ont tout pour être heureux (une vie en harmonie avec la forêt et les animaux, de la viande en abondance, des loisirs à foison, etc.), se laissent appâter par la nouveauté, ici représentée (une fois n’est pas coutume) par le christianisme, lequel est vu comme « le nouveau truc à la mode ». Et la critique est d’autant plus vive que tous ces crétins... oups, chrétiens ! préfèrent passer leurs journées à suer sang et eau plutôt que glander proprement à l’ombre d’un conifère en tenant la jambe à un serpent (hahaha...). Par ailleurs, toute la finesse de cette histoire vient du fait qu’elle est vue au travers du regard de ceux qui disparaissent... En tant que lecteur, on partage donc la frustration de Leemet qui voit son peuple fuir la forêt, son monde s’effondrer et sa culture s’éteindre... Pris entre deux feux – les nouveaux chrétiens qui veulent le convertir et le vieux chamane déjanté qui parle avec des esprits imaginaires – le jeune homme peine à trouver sa place.


Cependant, L’homme qui savait la langue des serpents n’est pas qu’un pamphlet. C’est aussi le mix réussi entre le mythe et la brève de comptoir. HEIN ?! Oui, vous avez bien lu. Dans ce livre se côtoient deux univers en apparence incompatibles : l’univers mythique et enchanté des légendes nordiques comme le Kalevala et la légende de Siegfrid, et celui des beaufs qui se racontent des blagues graveleuses sur le parking d’un Monoprix. Et oui, malgré l’ambiance mythologique dans laquelle baigne ce roman, nos personnages parlent comme vous et moi, usant sans retenue d’un argot des plus poilants pour parler des sujets les plus graves. Et voir un auteur qui ne se prend pas trop au sérieux et qui utilise un vocabulaire peu usité dans la littérature (en même temps, n’est pas Victor Hugo qui veut...), eh bin c’est vraiment rafraichissant !


Toujours pas convaincus ? Pas grave, j’ai gardé le meilleur pour la fin !


J’ai toujours eu la frousse des serpents. Mais quand je vous dis la frousse, je vous parle de la peur panique tétanisante qui rend incontinent, pas de la petite pétoche qui me faisait trembloter devant un épisode de Fais-moi peur quand j'avais cinq ans ! Et puis j’ai lu ce livre... Et maintenant... ben j’ai toujours la frousse ! Mais je ressens désormais une attirance étrange envers ces saloperies de reptiles. Comme Leemet, j’aimerais bien parler leur langue et me promener avec une gentille vipère autour du cou. Bon, j’ai pleuré comme une fillette la dernière fois que j’ai croisé un orvet, alors c’est pas pour demain... Mais je m’égare ! Tout ce que je voulais dire, c’est que ce livre m’a fait rêver et qu’il m’a ouvert de nouvelles perspectives (celle de visiter un jour l’Estonie n’étant pas la moindre...). Et ça, c’est plutôt chouette, vous ne trouvez pas ?


L’homme qui savait la langue des serpents, c’est donc un 10/10 largement mérité. Et j’attends avec impatience de pouvoir goûter à nouveau à la plume douce-amère d’Andrus Kivirähk !

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le 23 avr. 2017

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