L'île du docteur Moreau est mon premier roman de H. G. Wells, l'un des grands précurseurs de la science-fiction. Et je dois dire que c'est une demi-déception. L'idée de base de l'oeuvre était pourtant séduisante, cette île mystérieuse peuplée de créatures mutantes terrifiantes et gouvernée par l'étrange docteur Moreau. Pourtant, une fois le décor planté, le rythme semble s'affaisser au moment même où il devrait décoller, nous laissant presque l'impression que Wells a écrit cette oeuvre rapidement, sans beaucoup d'idées en dehors du thème central. Ainsi, les événements se suivent sans surprise à travers la jungle et la plage, et l'aventure se révèle fade, longue et peu palpitante.
Si je suis un peu sévère dans ma critique, je dois toutefois reconnaître de vraies qualités à ce roman. Certes le style de l'écrivain n'a rien de particulier, ni mauvais ni génial, mais il faut rendre hommage au fond de l'histoire et à la métaphore générale qu'elle constitue. Prendick, le héros et narrateur, s'interroge à plusieurs reprises sur l'absurdité de cette île et des expériences de Moreau. Où veut-il aller? Ses monstres ne sont jamais parfaits à ses yeux. Mais il continue malgré tout, guidé par une passion dévorante tandis que ses créatures se meuvent dans la forêt, sans but, sans raison d'être, difformes, horribles. Le roman est paru en 1896 à une époque où la théorie de l'évolution n'était déjà plus une "théorie" et entrait peu à peu dans les mœurs pour façonner une nouvelle conception du monde chez les artistes. Le caractère "mutant" de chaque être vivant, et notamment des hommes, était devenu une certitude. Finalement, l'île du docteur Moreau n'est elle pas une allégorie de notre Monde à nous, de notre condition. L'homme, créature mutante, résultat complexe d'une longue évolution, se meut sur cette Terre sans but, sans raison, dans ce monde absurde, attendant la fin de tout et observé de loin par son créateur, qui n'a rien d'autre à lui proposer que l'obéissance jusqu'à la mort. Cette analyse rejoint la conclusion du roman, dans laquelle le narrateur compare les hommes fréquentés après sa fuite de l'île aux monstres qui la peuplaient, et décide d'abandonner toute interaction sociale, horrifié par les visages de ces créatures hybrides.
Cette analyse n'est que la mienne, mais si elle correspond bien au fond de pensée de Wells, je la trouve malgré tout peu profonde, loin par exemple de la métaphore générale du Vieil homme et la mer d'Hemingway. Ce roman reste pour moi une déception, insuffisant autant dans son style que dans le traitement de l'histoire.