Je decouvre Milan Kundera pour la première fois grâce à L'insoutenable légèreté de l'être publié sept ans avant la chute de l'URSS. Disons-le tout de suite : Kundera m'a definitivement marqué. Non, en fait, Kundera me marque profondément !


Magnifique roman même s'il dégouline de misogynie et que c'est regrettable. C'est d'ailleurs mon seul regret. Écartons donc d'emblée cet aspect trés negatif du livre.


En effet beaucoup est à l'image de cet extrait par exemple :



Elle avait une terrible envie de lui dire comme la plus banale des femmes : ne me lâche pas, garde-moi auprès de toi, asservis-moi, sois fort !



Il ne pourrait s'agir que d'un possible double niveau de lecture s'offrant au lecteur si l'ensemble des choix de l'auteur ne formait pas un systeme de pensée misogyne où la femme est dans une situation precaire, fragile ou inferieure à celle de l'homme, lui fort et jamais réellement pris en défaut.
Tereza dans tout son rapport à Tomas. Dans sa situation de femme négligée si ce n'est de femme-accessoire. Représentation suggérée du sexe de la femme et de sa jouissance mais jamais de l'homme comme dans une sorte de pudeur viriliste mal placée. Poids des responsabilités davantage marqué chez l'homme (situation stable...) etc.
En outre son ambition de rendre hommage de manière bienveillante à une féminité qui n'existe pas procède également de le même misogynie ( Rapport au corps et à la beauté traitée par le prisme d'une femme par exemple).
Enfin surtout la culture du viol alimentée par l'une des scènes d'infidélité et, plus indirectement, par la reflexion de Kundera autour de la coquetterie. Entretenant à deux reprises donc l'idée qu'un "non" peut vouloir dire "oui"...


Mais L'insoutenable légèreté de l'être c'est évidemment loin de n'être que cela.


Milan Kundera a été adoubé par Jean-Paul Sartre puisque ce dernier a été le premier à le publier en France (avec sa nouvelle "Personne ne va rire", en 1964) et c'est selon moi opportun pour Sartre mais pas moins compréhensible voire logique, encore qu'ici cela puisse être surprenant politiquement... Car Milan Kundera a été eprouvé et semble revolté de manière plus prononcé voire extrême contre un communisme dont les derives du Stalinisme émergent de plus en plus à la face du monde.



On ne sait plus ce que c’est que de se sentir coupable. Les communistes ont trouvé une excuse : Staline les a trompés.



Des lors le communisme l'effraie. Si bien qu'il élève des idées au niveau de l'extremisme qui, lui, le répugne :



Pour Sabina, vivre signifie voir. La vision est limitée par une double frontière : la lumière intense qui aveugle et l’obscurité totale. C’est peut-être de là que vient sa répugnance pour tout extrémisme. Les extrêmes marquent la frontière au-delà de laquelle la vie prend fin, et la passion de l’extrémisme, en art comme en politique, est désir de mort déguisé.



Roman politique donc avec une partie magistrale sur le "Kitsch" ! Roman mémoire également. Reste que ce roman navigue essentiellement entre litterature et philosophie. Avec une aisance admirable. Et c'est même époustouflant ! Il s'agit effectivement d'un roman pensant comme j'ai pu le lire çà et là.
Difficile à aborder de fait. Parfois abscons ou en tout cas suffisamment ésotérique pour quelqu'un comme moi qui ne connait que très peu Nietzsche ou sa théorie de l'Éternel retour que Milan Kundera va choisir comme angle d'attaque pour son roman et ce sur quoi je vais rester focalisé longtemps. Théorie étonnante au demeurant. Cependant "rationalisé" ici par un auteur dont le talent est immense. Il la renverse rarement, mais suggere ce renversement et nous en offre en vérité la possibilité systematiquement. La porosité entre cette thèse et l'existentialisme de Kundera vient nourrir une forme d'ambiguïté qui m'a énormément déstabilisé au début.



Ne pouvoir vivre qu’une vie, c’est comme ne pas vivre du tout.



Tout est "cyniquement permis" mais chaque choix s'il ne nous engage pas pour l'éternité nous engage une seule, une unique, une irrémédiable fois. Du pareil au même donc. La responsabilite inhérente au mythe de Nietzsche, le "plus lourd fardeau" qu'est l'Eternel retour, devient l'angoisse Sartrienne de l'Homme "condamné à être libre" (Sartre).
Kundera triture sa pensée, s'attèle à travailler l'une de ses facettes, la modèle tout entière puis l'affine tout du long. L'insoutenable légèreté de l'être est un roman pensant parce qu'il est un roman vivant d'abord !


Plume magnifique et très identifiable. Simple, légère, directe. L'emploie de motifs répétés assez récurrente, l'utilisation impromptue mais toujours juste du registre familier, la mise en parallèle de situations avec l'espèce d'echo déformé que cela produit... Milan Kundera maîtrise son art s'en en faire quelque chose de mécanique mais bien au contraire en faisant succéder mots apres mots tant de naturel que cela embellit encore davantage son roman.


Au-delà d'une philosophie archivaste qui se mérite parfois pour le lecteur et de l'histoire qui nous est racontée et qui est somme toute banale et plate, en tout cas en apparence, c'est vraiment sa plume qui m'a plu et sa capacité à donner de l'ampleur à son discours tout en le rendant poétique. Ses lignes et ses pensées sont belles même sous leur apparat que daucuns trouveraient lugubre et pessimiste. Or ceux-là, sur ce dernier point, Kundera les qualifierait probablement d'extremistes. Et aurait-il tort ? Je suis prêts, aujourd'hui, à penser que non.
Car, comme pour Sabina et son créateur, l'ennemi c'est le kitsch !


Post-scriptum : Un billet sur le rapport de Kundera lui-même au Kitsch dans ce roman.

Dirini_
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le 30 nov. 2019

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