L’Œuvre au noir est la première des trois (ou quatre) phases du Grand-Œuvre alchimique qui permet la transmutation du plomb en or et la réalisation de la Pierre philosophale. Phase placée sous le signe de Saturne correspondant à une calcination avec mort, dissolution du mercure et coagulation du soufre. Et en ce XVIe siècle, calcination et mort sont monnaie courante.

Zénon Ligre, personnage fictif, nait vers 1510 à Bruges. Il est élevé par son oncle, riche notable de cette région de Flandre. Il est le pupille du chanoine Bartholommé Campanus qui débute son enseignement.

Dans la première partie du roman, Zénon voyage dans toute l’Europe. En France, en Allemagne, en Italie, en Pologne et jusqu’en Laponie où il officie comme médecin-barbier et poursuit l’observation de son époque et l’étude de ses contemporains. Alchimiste et philosophe, il tend à l’athéisme, insatisfait à la fois par l’Eglise de Rome et par les nouvelles doctrines de la Réforme. Le lecteur est pris dans les affres de cette époque troublée et assiste au siège de la ville de Münster, à la dissidence anabaptiste, et à la mémorable conversation d’Innsbruck entre Zénon et son cousin Henri-Maximilien.

Mais ses activités scientifiques et ses écrits (clandestins) indisposent l’obscurantisme de la Renaissance. Etroitement surveillé, souvent poursuivi, il finit par mettre fin à son errance et se réfugie dans sa ville natale sous un faux nom, trente ans après l’avoir quitté.

Dans sa vie désormais immobile, cet homme trop moderne pour son époque veille à occuper un poste discret au sein d’un dispensaire. Se faire petit, se faire oublier, ne pas faire d’envieux, ne pas susciter la vindicte de ses voisins, de ses collègues. A plusieurs reprises il pense à reprendre la route : pour gagner des régions acquises aux Protestants et parce que l’immobilité l’expose à une insécurité accrue. A la mort du Prieur, son ami, il quitte la ville dans le but d’émigrer en Angleterre ou en Zélande. Mais après avoir passé une nuit dans les dunes de la Mer du Nord, il rejoint finalement sa ville.

Il vit ainsi six années durant avant d’être calomnié et finalement arrêté par l’Inquisition et incarcéré. S’ouvre alors un procès qui dure près de deux mois et au cours duquel on assiste aux échanges scientifiques et théologiques de deux mondes inconciliables. Débats dans lesquels Marguerite Yourcenar a évité tout manichéisme en veillant à ne pas opposer les bons aux méchants.

Une lecture extraordinaire, d’une grande force sur cette Renaissance qui bouleversa toute l’Europe et au cours de laquelle on brûlait son prochain à tour de bras. Une époque à la fois effrayante et passionnante qui vit l’émergence d’idées nouvelles.

Un texte très exigent, d’une érudition impressionnante, où abondent les références historiques, religieuses, alchimiques qu’il m’a souvent été difficile de comprendre. Et je suis persuadé d’avoir manqué beaucoup de choses. Une écriture superbe, un style très dense, une atmosphère magique renforcée par l’immense attrait que Bruges constitue pour moi, ville magnifique dans laquelle j’aime tant déambuler. Encore meilleur que « Les Mémoires d’Hadrien ».
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le 17 mai 2013

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