Citations :



En assignant à toute activité humaine un objectif unique (la thune), un modèle unique (la transaction violente ou bizness) et un modèle anthropologique unique (être un vrai chacal), la Caillera se contente, en effet de recycler, à l’usage des périphéries du système, la pratique et l’imaginaire qui en définissent le Centre et le Sommet. L’ambition de ses membres n’a, certes, jamais été d’être la négation en acte de l’Économie régnante. Ils n’aspirent, tout au contraire, qu’à devenir les golden boys des bas-fonds. Calcul qui est tout sauf utopique. Comme l’observe J. de Maillard, « sous nos yeux, l’économie du crime est en train d’accomplir la dernière étape du processus : rendre enfin rentable la délinquance des pauvres et des laissés pour compte, qui jadis était la part d’ombre des sociétés modernes, qu’elles conservaient à leurs marges. La délinquance des pauvres, qu’on croyait improductive, est désormais reliée aux réseaux qui produisent le profit. Du dealer de banlieue jusqu’aux banques de Luxembourg, la boucle est bouclée. L’économie criminelle est devenue un sous-produit de l’économie globale, qui intègre à ses circuits la marginalité sociale (13.) »
À la question posée, il convient donc de répondre clairement que si la Caillera est, visiblement, très peu disposée à s’intégrer à la société, c’est dans la mesure exacte où elle est déjà parfaitement intégrée au système qui détruit cette société. C’est évidemment à ce titre qu’elle ne manque pas de fasciner les intellectuels et les cinéastes de la classe dominante, dont la mauvaise conscience constitutive les dispose toujours à espérer qu’il existe une façon romantique d’extorquer la plus-value.



D’un côté, bien sûr, nous découvrons chaque jour davantage que le « mouvement qui abolit les conditions existantes » – autrement dit le capitalisme – conduit l’humanité à un monde écologiquement inhabitable et anthropologiquement impossible. Mais de l’autre, nous prenons également conscience qu’il ne sera possible de s’opposer à ce mouvement historiquement suicidaire – ce qui veut dire, tout simplement, de sauver le monde – que si, et seulement si, les générations qui viennent acceptent de reprendre cette résistance à leur compte. Cela signifie donc que si le tittytainment a déjà en partie l’efficacité qu’il se proposait d’avoir – et ici, chacun doit juger par lui-même – alors, nous risquons de nous trouver bientôt confrontés, quel que soit par ailleurs le destin de l’École, à un problème que l’humanité avait eu, jusqu’ici, la chance de ne jamais rencontrer (ou l’intelligence d’éviter). Ce problème historiquement imprévu, personne, à mon sens, ne l’a formulé avec autant de froide lucidité que Jaime Semprun (8) dans L’Abîme se repeuple : « Quand le citoyen-écologiste –écrit-il – prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?, il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : À quels enfants allons-nous laisser le monde ? »
Telle est bien désormais la surprenante question.


silaxe
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le 16 août 2020

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