L'encyclopédie des nuisances a republié ce livre de 1956, jamais publié en français. "L'encyclopédie des nuisances" a bien choisi un texte qui lui correspondait car pour sûr le texte se veut corrosif, réactif, explosif. Texte alternant entre expérience (ouvrière) et dimension philosophique (discours assez unique, avec des dialogues, des phases où il retrace son expérience, puis des analyses conceptuelles). Ce double discours a pu lui être reproché et lui faire manquer un lectorat potentiel : ceux qui veulent de la philosophie pure et dure sont déçus : la réflexion tourne à l'affirmation, l'expérience prime le concept, celui-ci n'est pas décrit ; ceux qui veulent un pamphlet contre les nouvelles technologies doivent goûter de Marx, de pages de discussion sur l'idéalisme, etc.
Anders s'explique de sa "manière" peu conventionnelle : il choisit l'exagération comme manière de provoquer la réflexion.

Je me suis surtout attardé à la partie "Le monde comme fantôme et comme matrice – Considérations philosophiques sur la radio et la télévision" qui mêle les naïvetés (théorie du récepteur passif des informations, manque d'une analyse précise de "l'homme de masse", unité sacrée de la table familiale, présentation simpliste de l'ère du "spectacle"; etc.) aux fulgurances d'analyses que l'on retrouvera dans la médiologie, Baudrillard, ou dans les "échographies de la télévision" de Derrida et Stiegler.
C'est cela qu'il faut retenir, ce rapport au monde, au temps, à l'événement, à la production de l'homme de masse :

"Regarde, il n'y a vraiment plus que le lointain qui nous soit proche." « Les événements viennent à nous, nous n'allons pas à eux. » « Le monde, ni présent ni absent, devient fantôme. »

« 1.Quand c'est le monde qui vient à nous et non l'inverse, nous ne sommes plus « au monde », nous nous comportons comme les habitants d'un pays de cocagne qui consomment leur monde.
2. Quand il vient à nous, mais seulement en tant qu'image, il est la fois présent et absent, c'est-à-dire fantomatique. 
3. Quand nous le convoquons à tout moment [on/off de l'écran, ou de la radio], nous détenons une puissance divine.
4. Quand le monde s'adresse à nous sans que nous puissions nous adresser à lui, nous sommes condamnés au silence, condamnés à la servitude.
5. Quand il nous est seulement perceptible et que nous ne pouvons pas agir sur lui, nous sommes transformés en espions et en voyeurs. »

Le texte d'Anders est une réaction à ces télécommunications permanentes et mondialisées, certes sans proposition alternative, mais adossée de manière intéressante à une réflexion outrée mais qui ne manque pas souvent de toucher juste.

La version publiée en français rajoute un essai sur Beckett, et - plus connu de l'aspect du travail de Anders - une réflexion sur ce que la Bombe représente pour l'humanité survivante, dimension sous-pensée, encore aujourd'hui où les craintes de la guerre froide nous semble d'aimables frayeurs d'improbables Docteur Folamour.
JohnDoeDoeDoe
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le 8 déc. 2013

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le 8 déc. 2013

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