Au-delà du progressisme et du populisme

S'il y a bien une chose pour laquelle je suis reconnaissant envers Emmanuel Macron, c'est d'avoir fait voler en éclats l'opposition factice qui ne trompait plus grand monde entre droite libérale et gauche libérale et les avoir enfin réunis sous une même bannière. Rappelons-nous qu'à quelques détails près, nous aurions pu être contraints de choisir au second tour de la présidentielle 2017 entre Alain Juppé et Manuel Valls : bien malin celui qui aurait réussi à trouver une différence de fond entre ces deux-là !... Au moins pour cela, on peut remercier le macronisme de ne plus avancer masqué et lui reconnaître une certaine cohérence dans sa vision politique. Même si la vision pour un libéral, comme le reconnaissait étonnamment le non-moins libéral Luc Ferry, est précisément de n'en avoir aucune.


Pour autant le clivage politique qui a perduré durant 30 ans a la vie dure et les mauvais perdants des partis historiques tentent en vain de ressusciter une alternance qui n'a plus la légitimité des urnes. L'organisation politique reste donc bancale et tout le monde sent bien qu'elle ne pourra pas durer, pour au moins deux raisons :



  • L'acharnement thérapeutique des anciens partis pour se réinventer ne résout toujours pas leurs incohérences internes de fond. Leurs aménagements en surface font perdre du temps à la recomposition du paysage politique qui nécessairement devra avoir lieu un jour :
    A droite, les Républicains font mine d'être distincts d'En Marche en arguant que ça va dans le bon sens, mais pas assez vite. Comme l'auteur le formule si bien, l'entrée au parti d'un "sympathique philosophe néo-spiritualiste" n'est qu'une diversion qui ne change rien au fond libéral et s'est avéré du reste un échec stratégique par déni de la réalité d'aujourd'hui, à savoir que les catholiques ne pèsent plus électoralement. "La droite gaulliste, fondée sur la souveraineté républicaine et la Nation, est morte." (J'ai pour ma part la plus grande sympathie pour F-X Bellamy, et j'espère de tout cœur qu'il admettra un jour ne plus se reconnaître dans son parti tel qu'il existe aujourd'hui - d'ailleurs il le reconnait parfois à demi-mot).
    A gauche, le mot "socialisme" n'a plus de substance depuis au moins 30 ans. Benoit Hamon avait été à mes yeux un candidat étonnant. C'est lui qui avait fait les meilleurs constats sur les enjeux du monde qui vient (les excès du marché tout-puissant soutenu par une finance débridée, évolutions technologiques, défi écologique, risques de santé etc), et c'est lui qui proposait ensuite les pires solutions. Avec en tête celle du revenu universel, aveu de l'impuissance du politique à solutionner le problème du chômage, mesure applaudie par les libéraux qui eux-mêmes n'osent pas encore suggérer cette proposition qui nous vient, rappelons-le, de Milton Friedman. Alors que le vrai projet socialiste serait évidemment que tout le monde travaille, mais moins.
    Même si on n'adhère pas à ses idées, Jean-Luc Mélenchon reste à mon avis le seul homme politique intéressant de son bord. Il joue au tribun indigné toute la sainte journée mais a les idées plus claires qu'il n'y parait. On peut arguer qu'il lui manque lui aussi une certaine cohérence en tout point. Peut-être était-ce le prix à payer pour agglomérer tant d'électeurs différents autour de lui en 2017. D'un point de vue électoral, il faut le reconnaître, il a réalisé cette année-là une campagne quasi-parfaite.


  • Certes Macron a enfin réuni des partisans que quasiment plus rien n'opposait, mais les idées politiques n'en sont pas clarifiées pour autant, la faute à un fâcheux abus de langage de communicant. Depuis que les partisans d'En Marche ont souhaité se faire appeler, au lieu des "Libéraux", les "progressistes" (j'avais été étonné à l'époque que ce nouveau sobriquet ne fasse pas rire les commentateurs politiques : tant qu'à faire dans la nuance ils auraient pu se faire appeler "Les Forces du Bien" ?!), nous sommes installés dans cette opposition binaire qui enferme tous leurs opposants dans un vocabulaire affreux : qui se vanterait d'être absolument contre le progrès ? D'être partisan du repli ? De l'intolérance ? De la "....."-phobie ? Au moins, quand les partis avaient l'honnêteté de dire qui ils étaient (les communistes, les socialistes, le front national etc.), on savait à qui on avait affaire et surtout, on pouvait penser. La dichotomie qui nous est proposée ajoute indéniablement au malheur du monde et est inquiétante pour l'avenir de la politique, au sens noble du terme.



Que faire alors ? Dans ce petit essai, Emmanuel Roux nous embarque de façon très pédagogique dans son cheminement de pensée, afin de nous permettre d'analyser la situation, nommer le mal et enfin tenter de le dépasser. Il convoque à ces fins tous les critiques emblématiques de la dynamique libérale-libertaire (Jean-Claude Michéa bien sûr, Guy Debord, Pierre Manent et d'autres) pour retracer le chemin qui nous a amené à la situation que nous connaissons, jusqu'à ce moment machiavélien par excellence de mai 2017.


L'analyse étant posée et fort bien synthétisée, on se retrouve malheureusement déjà aux trois quarts de l'ouvrage et un peu sur notre faim, d'autant que l'auteur nous invite en conclusion à nous armer de patience avant qu'un prochain moment politique advienne : la claudicante situation, hélas, pourrait bien durer encore quelque temps.
Restent toutefois quelques pistes amorcées qui sans que ce soit nommé, empruntent beaucoup je crois aux courants du personnalisme de Mounier et du distributisme à la Chesterton. En cela Emmanuel Roux m'a semblé très proche du mouvement politique Refondation, qui tente de réfléchir à une politique concrète allant dans ce sens, où de l'économiste Gaël Giraud lorsqu'il évoque les perspectives d'un monde en commun.


Autant d'excellentes références n'ont pu que me réjouir et maintiennent ma confiance qu'un sillon est en train de se creuser, patiemment, dans cette voie qu'Emmanuel Roux ne nomme pas mais qu'on pourrait sans doute appeler en synthétisant le personnalisme.
Quoi qu'il en soit et bien que ce petit essai soit trop bref, c'est déjà une grande satisfaction de découvrir qu'il subsiste parmi les énarques au moins un auteur dissident !...

Wlade
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le 18 mai 2020

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