
C'était ton Zweig préféré. Celui que tu ne pourras plus lire.
Tu ne m'as jamais su m'expliquer, pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre, tu m'as juste fait lire chacun de ses livres, les uns après les autres, faisant défiler sur ma table de chevet des nouvelles dont la justesse psychologique nourrissait mes réflexions d'adolescente et des biographies qui m'indiquaient des chemins intellectuels, des passions défectueuses, des formations de génie ou d'âmes extraordinaires. Tu m'as offert un fil doré vers l'intelligence du coeur et la compréhension d'un monde d'hier, poussiéreux de valeurs et d'honneurs inaccessibles, et je me suis laissée bercer par ton enthousiasme et par l'élégance de cette plume qui, si je peux en voir parfois les "défauts", m'évoquera toujours un de ces moments parfaits de partage où notre relation ne connaissait, pour une fois, aucun ombrage.
Tu revenais toujours à celui-ci, était-ce à cause du titre ? Je n'ai pas su pourquoi ce récit-là, de détresse et de torture sentimentale, d'admiration et d'incompréhension, de secret refoulé et de douleur sociale, de paideia et de bilan de vie, plutôt qu'un autre. Tu me parlais de ce qui te touchait, chez Zweig, mais pas de ce que ce roman-là révélait en toi, et j'étais trop jeune, trop stupide, pour te le demander.
C'était ton Zweig préféré. Celui que tu ne pourras plus lire. Celui que je lirai toujours avec, dans le coeur, un mélange de regret et d'incompréhension, d'admiration et de mélancolie.
Un livre-stèle, parmi tous ceux que tu m'auras offerts.