Le principe de ce roman, une double enquête, est attrayant. Il faut mener de nouveau l'enquête des meurtres de 1994 pour comprendre le meurtre de 2014. On a donc deux mystères, ce qui devrait conduire à deux fois plus de suspens. Et ben non ! Je ne sais même pas trop par où commencer, tellement ce livre est raté ! (Oui, moi non plus je ne m'encombre pas avec du suspens)


Parlons d'abord de l'écriture. Le choix de narration retenu est celui d'une narration interne plurielle. Autrement dit, l’histoire est racontée du point de vue de différents personnages. Ce style narratif a un intérêt lorsque l'auteur fait l'effort de varier les styles d'écriture d'un personnage à un autre : par exemple, des chapitres à la première personne qui alternent avec des chapitres à la troisième ; ou une écriture plus ou moins littéraire selon le degré d'instruction du personnage. Ici, rien de tel !


Cette narration plurielle est parfaitement inutile, et devient vite exaspérante. Elle ne sert que de prétexte à ajouter des minis psychodrames peu crédibles et vient interrompre le récit de manière incessante et inopportune. Alors, vous allez me dire : c'est pour le suspens, pour garder le lecteur en haleine. Sauf que ça ne fonctionne pas. Les « rebondissements » sont ultra prévisibles. Tout le système de « flash-back » est complètement raté. La moitié des scènes relatées n'ont aucun intérêt pour le récit. Et une fois sur deux, on nous révèle avant le flash-back ce qu'on va apprendre pendant ledit flash-back. Exemple : on nous dit « Natasha est morte dans la course poursuite », pour ensuite nous foutre 15 pages du déroulement de la course poursuite, de la mort de Natasha et de la tristesse des personnages. On dirait une copie de collégien qui n'a rien à dire, mais qui brode parce qu'on lui a demandé de faire 4 pages. L'angoisse !


Et l'exaspération est intensifiée par la profonde vacuité des personnages. C'est un ramassis de clichés de série B. J'ai passé la moitié de ma lecture à lever les yeux au ciel à cause de la stupidité des dialogues. Une vraie purge. Les caricatures sont tellement grossières qu'on se demande vraiment de qui on se moque : des personnages ou du lecteur. Seulement trois policiers chargés de toute une enquête, c'est du foutage de gueule niveau série Z.


On a l'impression que l'auteur a regardé plusieurs saisons d'une quelconque série policière et a tout pompé dessus. Le livre lui-même révèle cette faille. On nous explique qu'en 1994, Jesse et Dereck bénéficiaient d'un gros soutien humain et logistique pour les épauler. Là, on a une disparition puis un meurtre, puis plusieurs meurtres, mais seulement trois policiers sur le coup, qui n'ont même pas un putain de bureau dédié...


Pour interroger quelqu'un, on doit forcément aller le voir, même quand il s'agit d'un autre policier. Le téléphone, les mails, la voie hiérarchique, c'est bien pour la vraie vie. Idem pour les convocations au commissariat, ça n'existe certainement pas. Vaut mieux perdre des heures à traverser le patelin en long et en large. Pour les séries TV, on doit se déplacer, car ça donne des images. Mais pour le roman ? Un peu de réalisme, c'est bien pour que le lecteur puisse se laisser emporter par l'histoire non ? Et puis, quitte à pomper sur une série TV, le double récit 1994/2014 aurait au moins pu s'inspirer de True Detective, on se serait un peu moins emmerdé !


Ah ! Et, vous savez l'enquête super bien ficelée avec des preuves géniales de 1994 ? Et bien on se rend vite compte qu'elle n'est ni faite, ni à faire. Ils n'ont enquêté sur rien, n'ont résolu aucun mystère (même tracer la provenance de transactions bancaires c'était trop dur) et se sont contentés de clore l'affaire avec la mort d'un simple suspect. C'est absolument consternant ! Surtout quand on nous vend ces policiers comme d'excellents inspecteurs.


Et ils ne progressent pas avec l'âge : les mecs sont en possession du manuscrit de Mailer et ne vont tout simplement pas le lire (à part les trois premières lignes) ! Tout en se questionnant « mais qu'avait-elle découvert ? ». J'ai bien ri aussi avec l'histoire de l'annonce pour retrouver le commanditaire du roman. Les policiers trouvent l'annonce dans le journal, mais aucun moyen pour contacter l'auteur de cette annonce. Du coup, comment Mailer a pu y répondre ? Mystère ! En fait, je pense que c'est une farce.


Voilà ! Peut-être que le roman est une énorme farce, comme la pièce de Kirk Harvey. Un genre de test pour savoir si l'on peut immensément faire parler de soi en écrivant de la merde. Et c'est finalement le plus intéressant dans ce roman : le battage médiatique autour de la pièce de Kirk Harvey. Pièce avec laquelle il ridiculise tout le monde, en promettant des révélations sur les meurtres de 1994 (c'est drôle d'ailleurs parce qu'il me semble que refuser de transmettre à des policiers des éléments sur une enquête en cours c'est de l'obstruction et c'est illégal, mais bon, on est plus à ça près). Personne ne sait rien de cette pièce, tout le monde suppose que ce sera mauvais et pour autant on se précipite pour la voir. Je ne sais pas si c'est volontaire, mais il y a là une belle dénonciation du fonctionnement médiatique aujourd'hui : des annonces grandiloquentes pour un fond inexistant. Et puis, ce roman aurait été meilleur dans le burlesque qu'en policier !



« Tout ça, c’était pour ne plus être seul. Parce qu’au fond, La Nuit
noire, c’est ma solitude abyssale. »



La Disparition de Stéphanie Mailer est-il la solitude abyssale de Joël Dicker ? Voilà le seul mystère de ce livre !

Felin-Sceptique
2
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Qui a osé prétendre que ce...truc est un livre ? et J'ai lu tout ça en 2018 ?!

Créée

le 8 mai 2018

Critique lue 579 fois

Felin-Sceptique

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