Mais pourquoi diable je me suis attaqué à ce truc ? J’en ai tellement, j’ai tant entendu parler de ce livre, que je me suis lancé ce défi stupide. Je me suis convaincu que c’était un des livres à avoir lus, au moins une fois dans sa vie. Par contre personne ne m’avait prévenu. Il faut être prévenu, on n’y entre pas comme ça. La Divine Comédie c’est : 14 233 vers, regroupés en 100 chants, divisés en trois zones géographiques. Enfer, Purgatoire, Paradis. Le tout en décasyllabes. C’est quoi une décasyllabe ? Un vers de dix pieds. Voici un exemple simple: « Ta tatie t’as quittée, mon petit-gars. » Pas terrible, mon exemple. Dante cite Virgile ou Ovide, moi je cite Bobby Lapointe. On fait ce qu’on peut. Et le vrai problème est là. Quand j’ai compris que j’avais un pavé en main, (la bible à côté, c’est facile à lire), j’ai décidé de prendre tout mon temps. Et comme c’est très dense, complexe, cela m’a pris un certain nombre de…mois. Je n’étais pas pressé, de toutes façons.


ENFER

Dante s’est égaré sur la pente brune, et entre dans une forêt sombre. Il visite l’Enfer, et rencontre des pêcheurs, et des tas de connaissances. C’est long, exigeant, d’une précision encyclopédique, et gorgé de symboles. Comme tout le monde, je reconnais que ses descriptions de corps suppliciés sont impressionnantes. Il a dû inspirer tous les peintres et poètes à venir avec ça. Sa langue est haute, élitiste, ciselée dans du marbre blanc, réservée aux lettrés. Les amateurs risquent d’abandonner très vite. C’est d’autant plus ardu, car bourré de renvois en bas de pages. Il cite tellement de noms, emploi tant de lieux différents, qu’on doit tout le temps regarder en bas pour avoir des explications. Une exigence d’historien, un mélange de personnages ayant existés, avec d’autres mythiques, un régal pour tout latiniste averti. Sans ces descriptions expressionnistes du martyr de tous ces damnés, se serait too much. S’il n’y avait pas ces descriptions, très « cinématographiques », tout en images, donc marquantes, ce ne serait pas cette visite guidée macabre qui plaît tant. Allez-y en Enfer, une fois la porte ouverte, un petit effort pour assimiler le langage, (évidemment personne ne parle plus comme ça, n’écris plus comme ça), et on plonge dans l’horreur. Bon voyage en enfer, donc ; comme tous ceux qui vont, âmes muettes et sourdes, debout dans la glace : « …leurs dents claquant comme becs de cigognes » Pas mal, hein ? Vous avez vu ? J’ai pris une page au hasard, de l’Enfer, et je tombe sur, ça.


PURGATOIRE


Le parcours du poète se poursuit. Il est accompagné de son guide Virgile. Dante grimpe, rampe, cours dans les limbes, dans l’entre-deux qui sépare l’Enfer derrière, du paradis hypothétique à venir. C’est assez intéressant, on reste scotché par sa vision halluciné, jusqu’à accepter de croire qu’au purgatoire, il y aurait ceux dont les péchés ne sont pas mortels. La luxure, la colère, le manque de foi…Ça se discute. Par contre, son jeu de question-réponses incessant commence à me lasser. Les damnés n’ont donc rien d’autre à faire ? Ils sont tous là à attendre que le poète passe, souvent le reconnaissent, puisqu’il les connaît presque tous (curieux), et c’est toujours la conversation entre gens de bonne compagnie, très pompeuse, voire emphatique, un peu pédant parfois. Une excuse pour parler du destin de l’Italie. Son style est marqué dans sa chair, par une perfection formelle absolue, (décasyllabes, hendécasyllabes, décasyllabes), qui fait que le sujet est évacuée tout au fond, puis la forme écrase le fond. Pour un lecteur d’aujourd’hui, se sera lu avant tout comme une œuvre littéraire, avait parvenu le traducteur. A bon entendeur, salut. Puis vient enfin le paradis. Enfin…


PARADIS


Enfer et damnation, j’en ai marre ! Ce paradis est un vrai purgatoire ma parole ! Moi qui m’imaginais qu’une fois la porte du paradis franchie, je serais transporté dans la joie, élevé vers une certaine idée du bonheur, littéraire, c’est tout le contraire ! Je suis complètement asphyxié. C’est sûrement à cause du manque d’oxygène, mais j’étouffe. Une fois que le prisme de la fiction, s’efface devant la pure révélation mystique, soit le lecteur marche, soit il s’efface. Personnellement ce paradis me laisse froid. Un froid glacial. Le poète se lâche, et transforme le chant final en interminable parcours d’initiation, pour illustrer palier par paliers, la gloire du dogme catholique. Avec forces arguments didactiques, et aidé par la complexité de son langage fleuri. Il monte. Pour nous aveugler, avec  la lumière qui, il l’avoue lui-même, l’a aveuglé au point qu’il n’arrive plus à décrire ce qu’il a vu. Moi je vois une pancarte publicitaire millénariste, du prosélytisme déguisé, pour plaire à ses seigneurs et maîtres. Dommage, son talent méritait mieux. C’est toujours bien écrit, c’est pas le problème. Une constante élévation, qui  me laisse l’impression de voir un diamant tellement gros, que je me demande s’il n’est pas faux. Un diamant qui brille de mille feux aveuglants. Plus de fiction. Ici, c’est le pur récitatif pour fidèles et croyants assidus, il passe en revue tous les éléments du code liturgique, avec chants grégoriens à l’appui. Ave Maria Gratia Plena… Si on n’est pas moine cistercien, en plein extase après un mois de jeûne, c’est aussi indigeste que du couscous sans sauce, ça a du mal à passer. Un traité de théologie qui laisse la poésie loin derrière, en Enfer. Et comme par hasard, il fait partie des élus, lui comme son ancêtre. Aveuglé par l’approche du « Maître » de toutes choses, il nous montre sa véritable intention, la mortification, la raison d’être de son bouquin. Le pape a dû lui dire merci. 

…SUITE ET FIN
C’est curieux comme on entend toujours parler de l’Enfer de Dante, rarement de son purgatoire, et jamais de son paradis. Le paradis n’intéresse donc personne ? Il n’y a pas beaucoup qui ont envie d’y aller, dans ce paradis. Et pour cause, c’est une parole politique, cachée dans un format religieux, et Dante en chef des armées, Muse de sa majesté l’église, ne se fait pas prier, il se noie dans l’eau bénite, aveuglement, exagéré dans la foi agissante qui balaie tout sur son passage. D’ailleurs les âmes purifiées, le sont souvent par leur lignées (rois, princes, élus, philosophes, pas de gueux chez eux). Suite et fin. En 700 ans d’âge, évidemment ça prend un petit coup de vieux, quand même ; c’est un vieux bouquin. La forme reste, le fond s’est décanté lentement, et tombe au fond de l’entonnoir. Un athée comme moi s’arrête évidemment en ENFER. C’est le plus cool, c’est toujours d’actualité, on en a plein la vue. On en a pour son argent, comme dirait les vulgaires capitalistes modernes. On retourne quand ? Pour une visite de l’Enfer, je reprends un ticket. Nous sommes peut-être tout bonnement en enfer dans ce monde-ci. C’est peut-être pour ça que cette partie du bouquin fonctionne aussi bien. Le reste c’est moins fort. Franchement moins. Et si son purgatoire mène à ce paradis-là, et bien, il peut se le garder. Nous irons tous au paradis, mais pas dans celui-là. Fin de la visite.

Angie_Eklespri
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le 16 févr. 2015

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Angie_Eklespri

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