La Douleur
7.7
La Douleur

livre de Marguerite Duras (1985)

Qui aurait cru que j’aurais lu, cet été, un Marguerite Duras ? Sûrement pas moi. J’avais un bon Jared Diamond entamé, c’était bien, mais pas ce qu’il me fallait à ce moment précis. Cette étagère d’une maison de vacances, quelques livres, cinq jours devant moi, le roman qui est là, un peu seul, et qui m’attend.

La « préface » est intrigante, je me lance, aucune idée du sujet. Mais on comprend vite de quoi il s’agit dans La Douleur, principale nouvelle du recueil : une femme sombre dans la folie face à l’attente et l’absence de certitude quant à un éventuel retour de son compagnon, déporté dans un camp de concentration allemand.

On a là une description de l’atmosphère, si particulière, du printemps 1945, où se côtoient la joie de la fin de la guerre, le soulagement, mais aussi la tristesse du retour des déportés, ou de leur non-retour… Pour la narratrice, qui n’est autre que Marguerite Duras dans cette nouvelle incontestablement autobiographique, cette période est d’abord caractérisée par l’absence, mais c’est l’attente, surtout, qui est douloureuse. Cette attente, Marguerite Duras la décrit formidablement bien, avec l’espoir de plus en plus maigre, et cette douleur qui monte alors que la joie règne. Dans cette France libérée, Marguerite Duras a l’impression qu’on n’a pas le droit de souffrir de l’absence d’un mari. Car beaucoup sont morts, il faut être courageux et savoir rester digne ; être mal, c’est être lâche…

La Douleur, c’est aussi l’amour, l’amour entravé, l’amour qui a de grande chance d’être brisé, l’absence de réponse, l’insupportable attente. On a là de très belles pages, touchantes, extrêmement réalistes. La quasi certitude de la mort et pourtant l’espoir, infime, auquel on n’ose plus croire, mais qui, faiblissant, persiste tout de même à rester là. A la limite, on sent que c’est presque plus facile pour ceux qui n’attendent plus, pour une femme de fusillé…

Ce qui est un peu déstabilisant, c’est que La Douleur se présente comme un journal alors qu’il s’agit d’une réécriture largement postérieure comprenant quelques remarques et analyses nettement datées, et anachroniques pour 1945. C’est donc un peu raté ou discutable sur ce plan, ce qui est dommage car l’écriture est parfaite, ciselant les détails des émotions vécues par la narratrice, cette femme qui ne peut pas être dans le présent, dans la paix, dans le retour à la normalité tant qu’il n’est pas revenu. Et plus le temps passe, plus l’espoir se réduit, et moins elle trouve sa place… Comment manger alors que celui qu’on attend est peut-être en train de mourir de faim ? D’autant plus que sa situation est un peu plus complexe, elle a une relation avec celui qui deviendra par la suite son deuxième mari, un camarade de résistance, tout en espérant le retour de son mari, qui n’est autre que Robert Antelme, et dont elle décrira l’arrivée à Paris, avec les détails terribles, comme ces mains dans lesquelles passe la lumière du soleil…

Les autres nouvelles, pas inintéressantes, et se déroulant également à la Libération, sont très inégales, avec une qualité d’écriture que je trouve bien inférieure à celle de la Douleur.

Au final, j’ai aimé lire ce recueil de Marguerite Duras. Certains textes sont mineurs, mais La Douleur est assez remarquable, bien que l’auteure qualifie cette nouvelle de « texte de jeunesse » : malgré quelques maladresses, on sent poindre de réelles qualités d’écriture, un potentiel que ma méconnaissance de Marguerite Duras m’empêchait jusque là de lui accorder. C’est promis, je lirai à nouveau cette auteure, mais ce ne sera plus par hasard, et pas seulement dans La Douleur.
socrate
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le 28 sept. 2014

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socrate

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