La Fable du monde est, comme le récit de la Genèse, un seul poème - un même processus de création, mais constitué de plusieurs parties, qui sont autant d'actions différentes, et de façons de poser la question ... De la création elle-même ! Or, l’œuvre qui nous occupe est une genèse d'un type spécial, puisqu'elle se forme comme paraphrase d'un texte ancien ayant déjà donné lieu à bien des réécritures!

Pourquoi ce texte m'a-t-il tant plu dès la première lecture? Ce n'est pas comme si Hugo, Claudel, Valéry ... N'étaient pas déjà passés par là ! La grande force du poème de Supervielle, c'est que tout le didactisme qui sous-tendait habituellement ces récits des origines est évacué ... Ne reste que la poésie et le plaisir, celui de créer.

Dieu lui-même n'est pas un Dieu très conventionnel ... Il éprouve du plaisir, de la distraction. Il hésite. Et puis il a des doigts. Bref, il n'est pas désincarné ... On pourrait même dire qu'il ressemble pas mal à un être humain.
Rien à voir avec le Dieu biblique, dont on énonce les actions au sein d'un discours fait de discontinuités, et dont les créations successives aboutissent à des séparations. Dans l’œuvre de Supervielle, Dieu parle continûment, et nous n'en sommes aucunement séparés.

Que dire de l'action créatrice de Dieu? Il fait comme le poète. Il voit, puis il nomme. Et l'imposition de ce nom est l'affirmation, l'imposition d'un ordre, qui se fait plus précis à mesure que la vision du créateur s'ajuste. Mais cela n'est pas sans susciter chez ce dernier une véritable ivresse de la création ... Qui est également ivresse de lecteur, à travers les clins d’œil à des auteurs qui l'ont précédé (Ovide; Baudelaire; Horace; La Fontaine; Montaigne ... nous avons affaire à un Dieu érudit). Ivresse de petit enfant, comme le suggèrent les jeux de sonorités, les images surprenantes, mais aussi l'humour. Dieu s'amuse du langage, savamment, avec une fausse-naïveté qui nous ravit. Et en cela, il nous rappelle un autre fabuliste recréateur de monde qui aime faire parler les animaux avec humour et gravité.

Affirmer, est-ce figer? Pas chez Supervielle. Il s'agit plutôt de faire renaître un monde et de lui insuffler un mouvement toujours horizontal, comme si chaque être créé animait ce qui l'entoure. Dieu ne crée pas un cosmos, il crée ... Le chaos! Car le chaos est mouvement (et vice-versa!).

Un plaisir que ce long poème. La fable du monde, ou comment faire revivre la mémoire de la littérature de façon intelligente et ludique, à travers un récit des origines toujours recommencé!
Cathyfou
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le 21 avr. 2014

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