Redonner au mythe ses lettres de noblesse littéraire. (Ou une histoire d'amour.)

... Mais y a-t-il besoin de faire revivre un mythe si fondateur, si présent à tous les esprits, cet épisode de la Genèse avec Adam et Eve, que nul n'ignore ? N'est-ce pas déjà trop littéraire, trop symbolique, trop originel pour cela ? Ce cher Zola, en s'égarant à revisiter quelque chose de si grand, n'est-il pas condamné à réaliser une oeuvre médiocre ?

Non. Certes, la puissance du mythe est intacte, universelle et sans doute indépassable - Adam et Eve se suffisent à eux-mêmes, ils n'ont plus aucun mystère tant on a glosé sur eux, que dire de plus... Pourtant, pourquoi ne pas les incarner dans des êtres plus humains, peut-être, plus tangibles ? Dans des personnages, Albine et Serge, qui s'assument comme tels, avec leur psychologie, leur faiblesses - et surtout leurs amours instinctives, pures et sublimes ?
Car c'est avant tout une histoire d'amour que nous peint Zola, où chaque scène est un tableau, un symbole vivant, un fragment de beauté qui transpire la suavité - et jamais son style n'a été aussi touchant que dans La Faute de l'abbé Mouret - à faire sangloter d'extase (Verlaine rpz).

Allez, entre nous, je m'en vais vous parler un peu de moi...
Je suis tombée amoureuse de ce livre. Car j'aime, et ce livre, pour moi, incarne mes amours puériles, mes jeux d'enfants, mes jubilations tendrement imbéciles. J'aime avec une candeur feinte, une douceur heureuse, un émerveillement bête qui m'aurait fait rougir de mépris et de honte il y a quelques années. Et Albine, Serge, dans le Paradou, ce Paradis déguisé, font rêver, à rendre malade de jalousie même le plus rustre - ici, le Frère Archangias. Je me retrouve, en admirant la perfection de la deuxième partie de La Faute, partie centrale, qui structure l'oeuvre, tel l'arbre qui incarne la consommation des amours des héros, où la faute est commise.

Tout est symbole, avec un jeu magnifique sur la condition d'abbé de Serge - l'innocence, puis la réalisation du péché, la honte puis la souffrance insoutenable... La première partie pose une ambiance. La dernière est le combat interne de Serge (peut-être un tout petit peu longuet, d'où mon modeste 9 !) jusqu'au dénouement, jusqu'à la victoire ou l'échec (je ne vous spoilerai pas mes enfants) final. Serge s'abîme dans ses illusions, jusqu'à devenir vide, mort au monde, car pour lui tout ce qui vit est peccamineux. Tragédie, tableau des plus magnifiques avec Albine (personne n'a encore peint le dénouement de l'oeuvre ? J'imagine un tableau préraphaélite.), terrible fin.

Ce qui est admirable, c'est qu'il y a d'un côté ce qui est prévisible, mais que Zola a voulu tel, pour des raisons évidentes (la reprise du mythe, la force du symbole etc) - et ce qui surprend, cette fin qui est un dilemme cornélien jusqu'à la dernière seconde, le sort d'Albine, l'enchaînement des parties et les points de vue adoptés. Avec un coup d'oeil avisé, on se rend aisément compte de la recherche, du raffinement présent dans La Faute, que ce soit du point de vue du fond comme de la forme.

Enfin, que dire. J'ai exulté, j'ai ri, j'ai pleuré, en voyant ces personnages tout purs d'instinct qui sont si propres à Zola et ici si émouvants. C'est la vie qui se montre ici, finalement, je ne peux que me répéter, pardonnez-moi. Mention spéciale à Désirée, un rayon de soleil du début à la fin, même quand le récit tourne au drame. C'est beau, c'est juste ça.
Lisez-le.

PS : j'ai perdu ma critique lors de ma première rédaction - elle était déjà un peu fouilli, mais je me demande si ce n'est pas pire maintenant que je l'ai réécrite... Je demande votre indulgence !
Eggdoll

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