On ne peut pas enlever à cette œuvre sa beauté sur bien des aspects. La narration fait preuve d’une force maîtrisée de bout en bout. Difficile, une fois que l’on est plongé dedans, de ne pas le lire d’une traite – ce que j’ai d’ailleurs fait.
Le cadre est posé de façon magistrale. La scène du début, notamment, dans le train enseveli sous la neige, est splendide. Par la suite, on arpente les rues de Séville aux côtés d’André ou de Matteo, on se sent écrasé, presque oppressé par la chaleur moite de ses ruelles.
L’histoire monte au fur et à mesure en intensité, et nous donne envie de tourner fébrilement les pages dans l’attente du dénouement.


Spoilers à venir :
A côté de cela, pour des raisons probablement personnelles, difficile pour moi d’adhérer au thème de ce roman.
Celui qui raconte l’histoire d’une toute jeune femme – une enfant sur bien des points- qui séduit, malmène, manipule, humilie, un homme de vingt ans son aîné. Qui, impuissant, en redemande.


Pardon, mais Concha est de ces femmes fatales qui n’existent que dans l’imaginaire des hommes.


Le récit est construit de telle façon à ce que la perception de la perversité se renverse. Ce n’est plus Matteo, qui du haut de ses trente-sept ans se prend d’amour et de désir pour Concha, (je le rappelle, une jeune fille dont le physique tend plus vers l’enfant que vers la femme) qui nous pose problème mais bien la manière dont elle le mène par le bout du nez. Elle est malhonnête, cruelle.
Lorsque, à bout de forces, épuisé, le cœur brisé, il craque enfin et la tabasse, c’est elle que l’on tend à blâmer. Elle qui lui a extorqué de l’argent, de l’amour, elle qui l’a provoqué, poussé à bout… elle a mérité ce qui lui arrive. Tout ce dont rêvait Matteo, c’était de l’épouser et de lui faire vivre une vie de princesse jusqu’à la fin de ses jours…


Comble du malsain, ce n’est qu’en perdant contrôle de lui-même qu’il devient enfin séduisant et excitant aux yeux de Concha. C’est en étant passée à tabac par un homme, un vrai, qu’elle en tombe éperdument, jalousement amoureuse. Lui offre sa virginité.


Certes, le récit a été publié en 1898. Il n’empêche qu’il suffit de regarder l’actualité pour voir que les problèmes qu’il soulève ne sont pas propres à son époque. Il participe à construire cet imaginaire de la femme vile, manipulatrice, source de la violence. Concha ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Matteo ne serait jamais passé à l’acte si elle avait été plus gentille. Une femme qui manipule un homme tel un pantin doit s’attendre au retour de bâton. Une croyance populaire pas prête encore de s’éteindre.

Isadora-zelda
5
Écrit par

Créée

le 19 févr. 2018

Critique lue 612 fois

4 j'aime

3 commentaires

Isadora-zelda

Écrit par

Critique lue 612 fois

4
3

D'autres avis sur La Femme et le Pantin

La Femme et le Pantin
DanielO
9

La passion selon Louÿs

"À Bacharach il y avait une sorcière blonde Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde Devant son tribunal l'évêque la fit citer D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté Ô belle...

le 21 juil. 2013

30 j'aime

26

La Femme et le Pantin
Mr_Jones
9

Elle et Louÿs

L'enthousiasme communicatif de Torpenn dans ses critiques des livres de Pierre Louÿs et son effet de persuasion légendaire m'auront amené à me mettre en quête d'un des livres du bonhomme. Pas une...

le 14 nov. 2011

23 j'aime

10

La Femme et le Pantin
turlututu
7

Je m’appelle Mateo et je suis sadomasochiste. Bonjour Mateo !

Ce livre ne raconte ni une histoire d’amour ni des ébats torrides (Louÿs chantre de l’érotisme ? Pas dans celui-ci en tous cas). C’est la narration, à la fin du XIXème siècle, d’une guerre...

le 12 mai 2013

9 j'aime

Du même critique

Le Complexe d'Icare
Isadora-zelda
9

Intemporel

..la dinguerie de la chose étant que, même si vous êtes une enfant intelligente, même si vous passez votre adolescence à lire Shakespeare, Jean Racine et Bernard Shaw, même si vous étudiez ...

le 17 févr. 2018

1 j'aime

1

La Végétarienne
Isadora-zelda
6

Ne pas se fier au titre...

Yeong-hye est une femme ordinaire, au physique sans grâce, à la personnalité banale, bref que rien ne distingue d'une autre. Une femme sans saveur, qui s'ennuie et qui ennuie. Même son mari n'éprouve...

le 9 sept. 2018