Une phrase pour résumer Orwell : L’arroseur arrosé, mais qui restait sec.
Il ne suffit de crier à la satire pour en faire une correcte. Martelant par métaphores la putride période soviétique suivant la chute du Tsar, Orwell tombe à plat ventre dans le l’univers si ouaté du manichéisme.
La bipolarité qui ondule tout le long du roman est incisive : le monde anglo-saxon capitaliste est le plus enviable, le reste est l’ennemi de ce monde. Une maxime mécanique qui atteindra sa quintessence, bien plus tard, sous Reagan et son fameux « Empire du Mal ». Bienvenue dans la guerre des étoiles. Pourtant, de façon robotique, le "dernier degré de barbarie" est en stase au terminus des marches de la mort. Voilà Orwell, un homme baignant dans le monde moraliste pro-atlantique, croyant voir ses idées flotter, telle de la mitraille sur un lit de rivière rouge à la sortie d'une MP-40 mordue par le froid, chassant ces cadavres encore chauds et exaltés qui titubent vers l'espoir de la mort, pour fuir le désespoir de la vie. Pensez à vous y noyer, en silence tout de même.


L’ossature lourde du roman est simple. Les animaux d’une ferme se révoltèrent, exproprièrent le fermier humain, et vint le moment où les animaux s’émancipèrent de la dictature humaine. Et puis, on travaille, on prévoit, on organise. Et finalement, les animaux arriveront à la logique humaine : des dominants qui maîtriseront les dominés. Voici le parallèle qui fut dressé avec la révolution soviétique et son Staline. Logique que je permets d’extrapoler avec le libéralisme. Mais il ne faut pas le dire.


Napoléon, le cochon en chef, est une allusion claire à Joseph, une sombre oxymore. Beaucoup de personnages clés se retrouvent ici. Boule de neige pour Trotsky, Malabar est Stakhanov, etc. Les cochons s’assurent le statut de race dominante, le reste sont des bêtes vouées à trimer.


Le roman est incroyable de fluidité. Rythmé comme un bon film américain. Prosaïque comme un discours de Roosevelt. On s’abstient de sous-entendus. Hélas, c’est le fond qui est bien trop peu profond.
Le roman n’est juste qu’un outil de propagande parfaitement camouflé. Publié en 1945, l’Ouest sait déjà l’affrontement générique qui va se profiler face à l’Est. Ainsi, Orwell dresse un portrait au vitriol de l’ennemi coco. Et puis, n'oublions pas nos pseudo-alliés de demain, français et italien. Mise en garde pour ces deux nations, où les communistes sont (ou vont être) la force politique majeure après la guerre. Ainsi, le cochon, Napoléon (à qui, on prête bien volontier les traits de César), rappelle à ces pays le danger de croire à un monde soumis au capitalisme agressif, que leur révolution leur sera privée. Tombons dans le crétinisme exacerbé. Orwell donne la leçon clivante à trois nations, plus vieilles d’un millénaire que la sienne et qui lui survivront de plusieurs siècles. « Ainsi, russes, français ou italiens ne seront bien bêtes de ne pas nous faire confiance ». Ne soyez pas veaux. De Gaulle avait raison ? Les français, si bovins, préfèrent le romantisme au pragmatisme.
Bien sûr, l’auteur lui, intelligent comme jamais, ne recule devant rien, déverse sa pensée poussiéreuse, et prête au cochon Napoléon/César la stature d’un porc peu habile devant la conduite des batailles. Dommage que Napoléon et César soient les deux plus grands stratèges que ce monde ait pu pondre. La comparaison que je ne cesse d'établir entre Orwell et Huxley me revient en tête. Je hiérarchise, ceci dit, Orwell approuverait. Huxley aurait-il été capable d’appeler un personnage hautement tolérant ou brillant stratège Adolf ? Je ne pense pas. Et puis, je ne peux concevoir qu'il eût atteint le point Godwin en quatre paragraphes. Orwell, ose tout, le con.
Combattre la propagande avec du bourrage de crâne.


Enfin, de grâce, laissons les animaux hors de la monstruosité humaine. Leur donner des tares humaines est insultant pour eux, et valorisant pour nous. Dommage que le but d'Orwell eut été de donner l'impression inverse. A-t-on vu des animaux massacrer de manière industrielle des semblables ? Et c'est par philanthropie qu'Orwell exige de nous de ne pas se comporter comme des moutons, des "animaux" ?


Bref, si mon côté chauvin et hautement misanthrope me rattrapent, je ne vois qu'en ce roman un shoot de morphine et une piqûre de rappel. Toujours un plaisir de voir les "je maîtrise" nous balancer à coup d'hashtag sur Twitter que ce livre, au même titre que 1984, permet à la populace si ignorante de voir les dangers du changement. Parce que, eux, ont compris, les yeux grands fermés, la vie. Et ont su parfaitement déchiffrer ce roman. Et suivent le message à la lettre. Alors gloire aux cadavres pharmacologiquement actifs, à leurs pensées sclérosées qui s'accordent à merveille au monde moderne. Ces pantins en sédation du monde libre. Ces mêmes qui pleureront de haine devant le coût d'un doliprane, sur les réseaux sociaux, via un Iphone à 500 ou 600€. Ils sont moutons, mais ne cessent de répéter que des choix contraires aux leurs sont ceux des moutons.
C'est là, que je reconnais le génie d'Orwell : quand le monde rentre dans sa psychose, il est le cochon Bonaparte, le monstre sacré du domaine littéraire pour "élites" qui ne peuvent pas comprendre leurs anciens dans ce monde où les vieux rêvent d'être morts, qui à défaut d'un passage à l'acte si mal vu, se tournent vers Dieu. Le vieux monde que je rejette, sur son tombeau. Sur ce, Facebook m'appelle.


"Lorsqu’un gouvernement est dépendant des banquiers pour l’argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au dessus de la main qui reçoit. [...] L’argent n’a pas de patrie ; les financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence ; leur unique objectif est le gain." - Napoléon Ier

Meursault
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le 8 juin 2017

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