Cela va me faire mal ; cela va me coûter, me culpabiliser et me faire marcher tête basse, le rouge aux joues, mais je vais bien devoir dire que ce roman d'Asimov est très moyen, voire assez médiocre. Et tant pis pour ma dignité.

Car voyez-vous, Asimov, souvent surnommé "le Père de la SF" est aussi le père de "ma" SF. C'est grâce à lui que j'en suis venu à aimer passionnément ce genre, en découvrant "Fondation" sur le rayon nouveautés du CDI de mon lycée, il y a 20 ans, et depuis ça roucoule ! Bradbury, K. Dick, Adams, Egan, Banks, McDonald, et tous les autres, c'est un peu Asimov qui leur a montré le chemin vers ma bibliothèque. Alors je ne voudrais pas me montrer ingrat.

Mais l'honnêteté est aussi une forme de gratitude, la meilleure peut-être, la garantie de l'authenticité des coups de cœur. Et cette "fin de l'éternité", je la trouve bien discutable. Tout n'est pas mauvais, bien sûr, et je commencerai d'ailleurs par ses qualités : l'intrigue est intéressante, divertissante. On accroche bien à cette histoire gentiment romantique, et le final est plutôt bien pensé, bien qu'un peu prévisible. Je me suis donc bien amusé pendant cette lecture, et c'est déjà pas mal ! De plus, Asimov sait trouver des artifices pour contourner en partie certains paradoxes du voyage dans le temps ; un sens de la cohérence qu'il faut honorer ici, surtout pour 1955.

Venons-en au fait... Sur la forme, d'abord : les personnages m'ont semblé très superficiellement créés, à commencer par le héros lui-même, Harlan. Il se traite bien souvent d'imbécile, et je ne peux hélas qu'adhérer : ses réactions sont binaires, surtout sur le plan émotionnel. Que Noys tombe amoureuse de lui m'a laissé perplexe (et jaloux, bien sûr). Que le doyen du voyage dans le temps ne sache même pas ce qu'est le commerce, ou différencier un livre d'un film, je n'ose y croire. Les coquilles de ce genre sont multiples et cela m'a déçu. L'écriture est aussi d'un niveau très moyen (à moins que ce ne soit la traduction, encore une fois ?) : le verbe "dire" a quelques synonymes, il serait bon de s'en souvenir, par exemple...

Sur le fond, ensuite ; le futur proposé par le roman est plutôt grotesque. Certes, comme je l'ai dit, Asimov ruse sur ce point avec son final intelligent, mais j'ai malgré tout beaucoup de mal à croire à ces siècles numérotés de 1 à 100000 et des poussières, caractérisés chacun par "une" culture (c'est quoi, cette dictature ?). Même en imaginant un futur sclérosé, je ne peux croire à des simplifications aussi outrancières.

Enfin, le final, même s'il est bien vu, soulève des questions essentielles qu'il est bien dommage d'avoir ignoré. (SPOILER) Par les choix que font nos deux tourtereaux dans cette conclusion, ils créent un nouveau futur, qui se révèle être notre propre Histoire. L'idée de l'uchronie corrigée est excellente, mais elle a ici le désagréable inconvénient d'occulter la question principale. Car dans le même temps, ils procèdent à un génocide de masse, en supprimant tout bonnement des milliards de milliards d'individus, humains comme aliens, sur des milliers de siècles. Le choc est immense pour le lecteur, devant l'ampleur du massacre, mais il ne semble guère préoccuper Harlan et Noys, convaincus de faire le bon choix pour la race humaine. Pourquoi pas, en fait, mais quel dommage que cette question métaphysique à l'extrême ne soit pas traitée : c'est la plus intéressante du roman ! D'ailleurs, je ne serais guère surpris que Greg Egan (le génial australien auteur d'axiomatique, radieux et océanique) ait lu avec attention ce roman, car dans "isolation", il fait justement de cette notion du génocide de masse sa problématique principale, même si elle est abordée sous un autre angle (celui de la physique quantique). Et le résultat est bien plus intéressant. (FIN SPOILER)

Je suis tenté d'être clément avec Asimov : on est en 1955 et son roman n'est pas si mauvais ; mais je pense qu'il a malgré tout raté l'occasion d'en faire un grand livre. On ne peut pas tout réussir...

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le 9 déc. 2013

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