A défaut de pouvoir lutter efficacement contre le racisme, peut-on lui échapper ?

Je me suis souvent senti dans l'embarras face à certaines répliques racistes, comme si ces personnes avaient le mot de la fin. Et c'est peut-être cette capacité à désarmer rapidement leurs contradicteurs qui permet depuis quelques temps aux "racistes" de convaincre de plus en plus d'individus, notamment ceux qui sont issus des classes populaires. Mais mon malaise ne peut que s'agrandir quand j'aperçois les seules solutions qui me sont proposées pour supprimer ce silence si dérangeant dans lequel me laisse le discours raciste. Ou bien la vulgate antiraciste qu'on martèle depuis des années ("la raciste a toujours tort car le racisme est le mal en soi"), ou bien la violence comme dernière réponse à ce qui paraissait être la source même de la violence.


Le livre de Pierre-André Taguieff a au moins le mérite de faire preuve d'honnêteté philosophique face à ce problème en mettant en évidence à la fois le malaise contemporain face au racisme et l'inefficacité du discours antiraciste. Au lieu de se réfugier au sein d'un consensus médiatico-politique, celui de la "bien-pensance", avec ses slogans hautement contradictoires ("L'égalité dans la différence"), l'auteur s'engage dans une lutte contre le racisme, mais une lutte qui ne trouvera paradoxalement de réelle efficacité qu'en affrontant d'abord l'antiracisme.


Cette trajectoire ainsi dessinée, c'est un véritable travail sociologique qu'entreprend Taguieff. Les connaissances apportées sont importantes et toujours mises en relation avec l'histoire des idées. Mieux encore, le propos est toujours ancré sinon dirigé vers le réel, à savoir l'époque contemporaine. Enfin, ce livre apporte un parfait éclairage sur la question du racisme/de l'antiracisme en ce qu'il tente d'apporter une réponse au problème de "l'antinomie de l'antiracisme". On comprend que si l'antiracisme semble inefficace face au racisme, c'est avant tout parce qu'il méconnaît son adversaire.


En effet, il est important de différencier plusieurs formes de racisme (inégalitariste/différentialiste) pour savoir à qui on a affaire. Mais, surtout, il faut considérer une nouvelle forme de racisme (le "néo-racisme différentialiste) qui est issu d'une nouvelle stratégie argumentative consistant à détourner ("distordre") les arguments antiracistes (par exemple, le fameux "droit à la différence"). Ce n'est qu'en prenant la mesure de ce changement idéologique au sein du racisme (ou plutôt au sein du "dialogue" racisme/antiracisme) qu'on peut comprendre l'origine du silence ou du malaise décrit au début de ma critique. Sans une telle compréhension, on ne peut qu'être égaré face à un Eric Zemmour qui va prôner le respect des cultures et de leurs différences mais en même temps poser un ultimatum à tous les immigrés ou toutes les personnes issues de l'immigration : la grande nation française ou la porte.


Cependant, ce qui fait la force de cet ouvrage, sa capacité critique (ou polémique) en fait en même temps sa faiblesse. L'antiracisme conséquent qui doit être pensé n'est que trop peu pensé. Ce n'est que dans les dernières pages qu'on retrouve l'esquisse d'un antiracisme fondé sur le sens commun, un universalisme pluraliste/relativiste à fortes connotations kantiennes. Mais on voit à la dénomination de cet antiracisme qu'il faut une certaine culture philosophique pour en saisir toute la portée.


De manière générale, c'est un livre bien trop long et bien trop exigeant sur une question qui n'est pas seulement posée par des érudits. Les militants auront sans doute arrêté leur lecture dès les premières virées au sein de l'histoire de la langue française, ce qui est quand même contre-productif pour un livre qui se veut militant et qui ne réserve sa thèse qu'aux finishers de ce marathon intellectuel. Peut-être l'auteur a-t-il voulu établir sa nouvelle Critique (de la raison antiraciste) alors qu'on se serait contenté d'un manifeste ...


C'est donc un livre ambitieux (et pour les ambitieux), que je recommande bien évidemment. Seul danger : ne nous rend-il pas plus complaisants dans la critique du racisme et de l'antiracisme à défaut de nous rendre plus forts face au racisme ? On en vient finalement, et sans doute contre notre gré, à prendre la posture de l'intellectuel "sans attaches" qui se tient à distance des débats pour mieux les juger. Mais agit-on d'autant mieux que l'on juge correctement ? C'est un autre problème.

ReinaldoM
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le 25 sept. 2018

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