Quand j'étais au collège, j'avais lu Germinal de Zola comme bon nombre d'entre vous et à l'époque, j'avais détesté. Pour être honnête, je crois que ça m'avait juste paru très long et que je n'avais pas tout à fait compris l'histoire. Cependant, ne pas avoir lu Zola quand on est une prof de français "ça craint grave", surtout quand on est amené à le faire étudier. De plus, une fois j'avais lu un article de Marcel Proust dans lequel il disait que Zola était selon lui le meilleur écrivain du 19ème siècle. Vouant un culte à ce monsieur, je me suis dit qu'il était temps de suivre ses conseils de lecture.


Du coup, en ce début d'année, j'ai pris la décision que j'allai me lancer dans la lecture de la saga des Rougon Macquart ces prochaines années quoi qu'il m'en coûte et j'ai donc commencé par le tome 1 : LA FORTUNE DES ROUGON.


Malgré mes réticences, j'ai vite été séduite. La première scène du roman est tout simplement un pur chef-d'oeuvre de narration qui n'a rien à envier au cinéma. Zola alterne les différents plans et travellings pour mettre en scène un simple bout de terrain vague dans lequel va apparaître une mystérieuse silhouette...On est happés par son sens de la mise en scène qui rend chaque objet, chaque ombre, chaque couleur dramatique et lourd de sens. Il ne se passe rien, mais on attend tout !


Et quelle plume ! Quel conteur ! Zola a l'art de la redondance gracieuse : je ne sais pas comment il fait pour ne pas être chiant à lire parce que pour dire un truc, ça va prendre 20 lignes. Dans ces 20 lignes, Zola rajoute peu à peu des périphrases, des synonymes, des effets de sens, des précisions,pour que l'on est une vision très exacte de ce qu'il se passe et de comment il faut le voir. Ainsi, on est vraiment dans un tableau de maître, où la pomme représentée n'est plus la pomme mais la pomme vue par le maître. Vous voyez ce que je veux dire ? Je n'avais pas ressenti une telle "patte" dans l'écriture depuis Céline ou Proust et ce retour "aux classiques" après avoir erré si longtemps dans les méandres de la littérature jeunesse, m'a fait retrouver le plaisir brut et puissant de la lecture en relief. Dans une certaine mesure, son écriture (ses développements d'idées) me fait penser à la mer qui fait gonfler et mourir ses vagues d'un même souffle avant d'en créer une plus grosse, plus éclatante pour nous éclabousser le visage. Et, tout le long du roman, le rythme de ces vagues s'alternent, se font échos ou se répondent pour donner une mélodie vraiment particulière.


Bref, au delà de ça, j'ai été charmée par ses personnages qui comme des caricatures font plus vrais que la réalité. Tout est grossi, tout est mis en relief dans l'horreur comme dans la beauté, si bien que si on devait peindre les personnages de Zola, j'imaginerais bien leurs traits peints au fusain avec des jeux d'ombre très prononcés. Malgré le contexte historique, je n'ai pas senti de fossé entre notre époque et ces personnages car ce sont leurs personnalités qui sont le vrai centre du drame. On a Adélaide, une vraie Cas sos, qui est complètement perchée et victime de sa vie. Elle est attirée par les hommes brutaux, se fait bizuter et battre en permanence, et le pire, c'est qu'on ne ressent presque aucune compassion parce qu'elle n'a pas cette "lumière de vie" qui pousse beaucoup d'êtres humains à lutter, à survivre et grâce à laquelle on pourrait s'identifier. On a Macquart, l'ivrogne égoïste et grande gueule pour lequel on ne peut ressentir qu'une profonde acrimonie et qui est ce genre de type qu'on a déjà croisé dans un PMU un jour et qui s'engueulait avec le barman pour qu'il lui réserve un ballon de rouge. On a Pierre et sa femme, ces clichés de bourgeois ambitieux prêts à toutes les bassesses pour récupérer un brin de fortune et obtenir de la part des autres une considération factice mais symbole de réussite. Là encore, comment peut-on ne pas reconnaître en eux certains de nos "proches" ou "connaissances "? Et le pire,,c'est que Zola, tout en faisant un portrait des plus lucide, des plus brutal, parvient d'une certaine manière à les rendre attachants parce que leurs espoirs leur donne une fougue, une vivacité qu'on retrouve chez les grands Héros de la littérature.


" Mais elle était du monde où les plus belles choses ont le pire destin. Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin" disait Malherbe.


En effet, pour finir, c'est l'histoire de Sylvère et de Miette qui m'a le plus touchée. Vous voyez le tableau de Frédérik Morgan, les amoureux ? Et bien j'avais l'impression d'y être. Zola a fait de cet amour un ravissement pour les yeux et le cœur, car non seulement celui-ci est pur, mais surtout, naïf à l'image des deux enfants. Il est comme un havre de paix dans un monde d'apocalypse. Je n'ai pas senti d'ironie de la part de Zola pour décrire cet amour, et je l'en remercie parce que ça veut dire qu'il a pris le partie de dire que les belles choses existent dans le monde malgré la misère ambiante. Bien-sûr, entre l'idéalisme de Silvère, et la simplicité de Miette, nous savons dès le début que cette histoire aura une fin tragique....mais pour être franche, je n'ai cessé d'espérer tout le long du roman, qu'une bonne chose se termine bien. Et c'est cet espoir qui donne à ce roman franchement pessimiste et sombre, toute sa portée et sa violence : le monde et les vices humains finissent par corrompre les idéaux, l'amour et les étendards. Quel miroir tendu à l'être humain !


Zola disait que le but de son oeuvre était de simplement dépeindre les mécanismes de notre esprit, et le pourquoi de nos actions afin de nous mettre face à nous même. Il disait que c'était de la pure curiosité, une envie de "comprendre" comme un médecin comment nous étions faits à l'intérieur. Or, je ne pense pas que son intention était purement scientifique car à travers ces lignes j'ai trouvé un Zola inquiet pour notre humanité, un peu amer, et franchement combatif pour mettre en évidence ces travers comme étant de la médiocrité . Il y a un parti pris en faveur de l'intelligence et du beauté ici. Ce n'est pas objectif, c'est l'oeuvre de quelqu'un de bien et pour cela, j'ai vraiment du respect voire de l'amitié pour cet auteur.

Mouchni
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le 31 mars 2016

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Soso la bricole

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