Des récits, des fictions, des films sur la Deuxième Guerre mondiale on peut en trouver jusqu’à en être gavé jusqu’à la moelle. À un tel point que parfois certains ouvrages nous semblent redondants et une désagréable impression de déjà-vu peut nous ennuyer.
Cependant, cet ouvrage m’a tout particulièrement interpellé de par son titre, mais aussi bien sûr de par sa thématique. Finalement, on se rend compte que la guerre qui s’est déroulée en Russie ainsi que leur victoire sur Hitler est bannie ou survolée par nos livres d’histoire. Mais ce livre ne traite pas uniquement de cette bataille méconnue, non, il dépeint également le quotidien des femmes pendant la guerre, des femmes qui sont souvent décrites par les récits populaires comme de simples ménagères attendant bien sagement leurs maris partis au front. Eh bien ici, les nombreux récits récoltés par Svetlana Alexievitch nous font la lumière sur les infirmières, les tireurs d’élite, les simples soldats, les chefs de section, les mécaniciennes, les résistantes, les pilotes, les partisanes,… En bref, un quotidien peu ordinaire pour ces femmes qui n’ont pas voulu attendre la fin de la guerre les bras croisés.
« Je n’ai fait ni une ni deux. J’avais un métier dont on avait besoin au front. Alors je n’ai pas réfléchi, pas hésité une seule seconde. D’ailleurs j’ai rencontré peu de gens à l’époque qui auraient préféré passer cette période à l’abri ; à attendre que ça passe. » Anna Semionovna Doubrovina-Tchekounova, lieutenant-chef de la garde, pilote.

Mais le travail de Svetlana Alexievitch ne s’arrête pas là, elle ne se contente pas de retranscrire ces récits sans y placer la moindre intervention. Non, elle nous décrit également comment elle a pleuré avec son interlocutrice, comment elles ont ri, comment elle a su délier des langues qui se taisaient depuis bien trop d’années. Elle apporte également un regard sage et réfléchi sur tous ces récits, comme si elle avait elle-même besoin d’un peu de recul.
« Ils ont leur propre mémoire, et cette mémoire est toujours la même. Car ils possèdent la même expérience acquise dans l’horreur : expérience non seulement de la guerre, mais de l’homme en général, du sublime dont celui-ci est capable en tant qu’homme, et de l’abject dont il est capable en tant qu’inhumaine créature. Là-bas, tout se côtoie : le noble et le vil, le simple et l’atroce. Mais ce n’est pas l’horreur dont on se souvient, du moins ce n’est pas tant l’horreur que la résistance de l’être humain au milieu de l’horreur. Sa dignité et sa fermeté. La manière dont l’humain résiste à l’inhumain, justement parce qu’il est humain. »

Svetlana Alexievitch nous fractionne également son travail en plusieurs parties, ayant chacune plus ou moins un thématique comme la haine, la place de l’amour dans la guerre, une fille à la guerre, une mère à la guerre, ou encore un épisode rempli de contradictions : la Victoire.
« Comment la patrie nous a-t-elle accueillies ? Je ne peux pas en parler sans verser des larmes… Quarante ans ont passé, mais mes joues brûlent encore. Les hommes se taisaient, et les femmes… Elles nous criaient : « Nous savons bien ce que vous faisiez là-bas ! Vous couchiez avec nos maris. Putains à soldats ! Salopes en uniforme !... » Elles avaient mille manières de nous injurier… »

Les destins de ces femmes tantôt se ressemblent, tantôt se contredisent mais nous rapportent au final des récits plus que poignants, émouvants et sordides.
« J’ai perdu mes jambes… On m’a amputée… On m’a sauvée là-bas, dans la forêt… L’opération s’est déroulée dans les conditions les plus primitives. On m’a allongée sur une table pour l’opérer, il n’y avait même pas d’iode, et on m’a scié les jambes, les deux jambes, avec une simple scie… On m’a allongée sur la table, et pas d’iode ! On est allé dans un autre détachement, à six kilomètres de là, chercher de l’iode, et pendant ce temps-là, moi, je suis restée étendue sur la table. Sans anesthésie. Sans… Il n’y avait rien, à part une scie ordinaire… Une scie de menuisier… » Fiokla Fiodorovna Strouï, partisane.

En somme, des récits tout à fait bouleversants, et un regard unique sur cette guerre : un regard de femme. Leur vision de la guerre leur est propre, elles nous parlent des cerisiers en fleurs lorsque tout autour d’elles n’est que chaos. Leur courage, leur force, leurs faiblesses, toutes ces vérités donnent à l’ouvrage une dimension historique.
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le 4 août 2012

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