Je ne suis pas un grand lecteur. C'est un fait. Les raisons sont multiples ... la paresse, la flemme sans doute. Aujourd'hui c'est tellement plus simple de bouffer du contenu audiovisuel, le cul vissé sur une chaise, à attendre qu'on nous balance tout à la tronche, plutôt que de faire l'effort de lire, de se plonger dans un bouquin, une tasse de thé fumant à la main.
Mais aujourd'hui, un livre m'a réconcilié avec la lecture. Avec le plaisir de lire. Il m'a rappelé ce que c'était, de se fondre dans une histoire, de vivre au rythme des pages. Ce livre, c'est la Horde du Contrevent.


Avant de commencer, je dois dire merci à Rone. Un artiste de grand talent qui m'a permis de découvrir l'oeuvre de Damasio, via le poignant Bora Vocal. Cette musique dégage tellement de force, de détermination, par l'intermédiaire d'extrait du journal intime vocal de Damasio, que j'ai fini par penser qu'un auteur qui mettait autant de passion et de hargne dans ce qu'il écrivait ne pouvait que donner naissance à une oeuvre hors du commun. Et je ne me suis pas trompé. Cette musique, c'est sans doute la meilleure pub qu'on aurait pu lui faire.


La Horde du Contrevent, c'est le récit d'une bande de cinglés. 23 fous furieux, programmés et formés dès l'enfance pour poursuivre un but qui avalera leurs vies entières. Un objectif insensé, irréalisable, à la limite de la démence, que personne n'a jamais atteint avant eux. Ils sont la 34ème Horde, la 34ème a tenté l'aventure. Comme toutes les Hordes avant elle, elle est mené par un traceur. Golgoth, neuvième du nom, ou Gogol pour les intimes. Animé par une rage de vaincre et une détermination viscérale, c'est le moteur de la Horde, son cœur palpitant. Sa raison d'être. Autour du traceur s'articule toute la Horde, réparti en deux groupes : le Fer, qui fend le vent, et le Pack, qui consolide les appuis.
Le livre est entièrement basé sur ce vent, multiforme et omniprésent. Ou plutôt sur la lutte contre le vent : du paisible choon, au tempétueux crivetz, en passant par le terrible furvent, Damasio a su créer de toute pièce une véritable mythologie du vent. La vie entière des habitants de ce monde, êtres de chair et de sang, est basé sur la science du contre, le combat contre le vent dans toutes ses formes, de la plus pure à la plus violente. Pas un seul jour ne passe sans que le vent souffle sur la Bande de Contre, cette étroite bande de terre habitable qui fait figure de route entre l'Extrême-Aval, point de départ du récit, et l'Extrême-Amont, siège de tous les fantasmes. Source du vent, jardin primordial, paradis, fin du monde, personne ne sait ce qu'il s'y trouve car personne ne l'a jamais atteint. Pourtant leur but, c'est bien celui-ci : remonter la Bande de Contre, à pied, pour trouver l'origine du vent, et un moyen d'atténuer sa violence qui ravage le monde habitable.
C'est là la première réussite de Damasio. D'avoir réussi à donner vie à un monde original, à le rendre crédible par des anecdotes, des détails, un vocabulaire spécifique, une mythologie, travaillé et façonné avec un sens du détail digne d'un orfèvre. A chaque mots, chaque phrases, chaque paragraphes, le lecteur ressent cette passion, cet amour pour un monde d'une cohérence folle issu des tréfonds de son imagination, et qu'il a réussit avec beaucoup de talent à coucher sur papier.


Son autre grande réussite, c'est d'avoir adopté une forme qui sort de l'ordinaire. Damasio a ainsi opté pour un récit à plusieurs narrateurs, chacun bien reconnaissable par un symbole en début de paragraphe, mais plus encore par un style particulier. Alors que Gogol utilise un ton familier plein de barbarismes, reflet de son caractère bourru et amer, à l'extrême opposée le troubadour de la Horde, Caracole, parle avec une plume fine, virevoltante et pleine de métaphores.
On passe d'un paragraphe à l'autre, à travers une myriade de style ... soutenu, courant, poétique, familier, mais toujours d'une cohérence totale avec le narrateur en présence. A travers leur façon d'écrire, le lecteur apprend à connaitre et à comprendre chacun des membres de la Horde, avec leurs personnalités propres. Il s'y attache, plus que de raison ... au point d'avoir l'impression de les connaitre intimement : leurs doutes, leurs craintes, leurs joies.
Jamais je ne m'étais senti aussi profondément impliqué dans un livre. Je me suis retrouvé à contrer avec eux, à vivre avec eux. J'ai été pendant 700 pages un membre de la Horde. Le 24ème, pas seulement lecteur ou spectateur, mais bien un membre du Pack, là bas, cramponnez aux basques de Golgoth, que j'entends encore hurler des ordres de formation : "Diamant de contre ! En étai ! Calez les appuis, qu'est ce que vous foutez merde !"
Autre originalité, celle ci plus anecdotique, le livre commence à la page 700 pour se terminer à la page 1. Une référence évidente à cette course vers les origines du monde, et de celui qui tient le rôle principale : le vent, à la fois créateur et destructeur.


Alain Damasio nous indique très vite ce que l'on soupçonne dès le début. A la moitié du livre, on sait ce qu'il en est, ce qu'il pourrait se passer, ce qu'ils risquent de découvrir en Extrême-Amont. Mais ça n'enlève rien à la force du voyage, aux épreuves qu'ils ont et qu'ils vont traverser, à cette solidarité, ce dévouement dont chacun fait preuve pour ce groupe. Ce groupe ? Non, cette famille, cet amas compact d'individus liés par la force des choses et la rigueur des éléments. C'est même l'inverse. La surprise reste intacte.
Surpris, c'est un mot bien trop faible pour exprimer ce que j'ai ressenti quand j'ai lu les deux dernières lignes. Je suis passé par un tourbillon d'émotion indescriptible. La fin est magistrale, assourdissante, d'une force inouïe, reflet de tout ce que la Horde a pu vivre et perdre durant cette vie toute entière dédiée au contre. Un coup de poing dans le ventre. Et pourtant ... cette fin est d'une logique implacable. J'aurais dû la voir venir. Mais non, la surprise a été totale, et je mettrais un moment avant de m'en relever. Ces deux phrases résonnent encore dans mon esprit, point final magistral d'une oeuvre à la puissance démesurée.


La Horde du Contrevent est, j'ose le mot, un chef d'oeuvre. Le genre de livre que l'on oublie difficilement et dont l'on ressort hagard, perdu. Alain Damasio sait écrire, il n'y a aucun doute là dessus. Il en joue peut être un peu trop, étalant sa science de l'écrit avec une aisance perceptible. Chaque personnages est l'occasion de nous montrer un peu plus son savoir faire et la virtuosité de sa plume. Néanmoins, je pense que c'est bien cette qualité d'écriture, que l'on sent parfois un peu forcée, qui nous immerge dans le récit, et qui donne corps à ces 23 hordiers. Dans les mains d'un autre auteur moins talentueux, je suis persuadé que ce livre n'aurait pas eu la moitié de cette force insondable qui nervure l'ensemble de l'oeuvre, capable de faire passer le lecteur par toutes les émotions possibles en seulement 700 pages. J'ai ri et j'ai pleuré, j'ai aimé et j'ai détesté.
C'est un voyage dont l'on ne ressort pas totalement indemne. Plus qu'un simple livre d'aventure, Damasio introduit subtilement des concepts et des notions philosophiques, des thèmes et des problèmes qui poussent le lecteur à la réflexion. A voir la vie et le vivant sous un autre angle, autrement que comme un abrité, ces hommes et ces femmes essoufflés qui ne luttent plus contre le vent mais qui le subissent chaque jour durant.


La Horde du Contrevent restera gravé dans mon esprit pour quelques temps encore. Que ce soit par la densité, la complexité et la profondeur de ce monde ravagé par des torrents de vent. Que ce soit par ces 23 personnages profondément attachants, qui deviennent au fil des pages de véritables compagnons de route, des êtres à la force de caractère incroyable. Que ce soit par cette plume inventive, qui n'a pas cessé de m'émerveiller, de me surprendre, de donner vie à ce monde et à ces personnages avec une puissance et une réalité folle.
Une oeuvre complète remplie de moments de bravoure, un livre-univers comme le dit si bien la 4ème de couverture. Dans tous les cas une expérience de lecture unique et indispensable.

Jadenor
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le 28 mars 2014

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