À ne pas avoir adoré ce roman, je me sens minoritaire ici. Pensez donc: mes éclaireurs ont unanimement donné un 10 à ce livre. Et c'est là la force de SensCritique (et des internets ^^): un livre qui n'aurait jamais eu aucune chance d'attirer mon regard en librairie se retrouve dans mes mains sur le seul critère de son e-bouche-à-oreille.

Pour ne pas perdre trop de temps, je vais mettre les pieds dans le plat, quitte à passer pour un sans-coeur: je suis resté plutôt froid devant ce roman. Je n'ai pas vibré, je n'ai pas pleuré, j'étais même parfois à la limite de m'en foutre complètement. Et à un moment je l'ai même détesté, haï de me prendre du temps pendant lequel j'aurais pu lire autre chose, qui m'aurait vraiment plu. J'aurai mis 3 mois à en venir à bout, à coups de je t'aime-moi non plus, de pauses vengeresses, de perte d'intérêt. Et puis d'un coup, une envie de contrer avec la Horde: "allez les gars, on arrête de chialer et on s'y remet!". Et j'ai avalé les 500 pages qui me restaient en quelques jours.

Il faut reconnaître de nombreuses qualités à ce livre. L'univers qu'il crée se tient plutôt bien, l'ambiance est géniale et le tout extrêmement travaillé. On ne peut douter du travail, du sérieux, de la sueur qu'y a injectés l'auteur.
A titre personnel, je dois dire que j'ai regretté que la trame principale fut déjà "connue", cette histoire de tribu remontant aux origines du vent, luttant contre lui une vie entière, m'avait (malheureusement) déjà été contée dans le magnifique jeu Lost Odyssey (de Hironobu Sakaguchi)*. Je fus donc un tantinet moins sensible à l'originalité de la chose. Mais soit, je suis magnanime et prêt à vivre une grande aventure quand elle se présente! Passons donc sur la trame principale qui, si elle se révèle intéressante, voire passionnante à certains moments, est leeeeeente, leeeeeeeente à en mourir. On croirait lire le seigneur des anneaux en slow motion.

Certains passages, au contraire, s'avèrent fulgurants, d'une rapidité réjouissante. On me rétorquera que l'auteur a certainement voulu imprimer à son récit le rythme du vent, successivement calme, lourd, puis fou en bourrasques. Certes. Mais ce besoin mimétique est-il une excuse suffisante pour laisser un lecteur s'ennuyer? Car à force de lenteur, j'ai décroché plusieurs fois.
En revanche, j'ai beaucoup aimé être plongé directement dans ce monde, sans explication préalable, avec son vocabulaire chatoyant, cette sorte de novlangue riche. Je raffole de ces immersions brutales en terre inconnue qui peuvent en rebuter plus d'un (et dont le maître reste pour moi Philip K. Dick)
L'histoire atteint, à mon humble avis, son point culminant vers ses deux tiers, dans la cité d'Alticcio, où le récit prend de l'ampleur, gagne en richesse. Puis vient la citation d'Eluard, celle qui permet au lecteur de deviner la fin (bonne ou mauvaise idée? je ne saurais dire), de vouloir la hurler à ses héros, incapables de la comprendre. À partir de là, le roman chute inexorablement vers un épilogue convenu, tragique. On lit vite, autant pour en finir que pour valider sa théorie.

Je partage avec certains de mes éclaireurs cette impression d'épuisement, lorsqu'enfin on touche aux dernières pages. Oui, le récit est véritablement éprouvant. Mais nos points de vue divergent quant aux raisons même de cette impression: le destin des personnages ne m'a pas vraiment touché, car je ne m'y étais pas attaché (oui, je suis froid et cynique, c'est mon côté fanboy de Brett Easton Ellis), je me contrefiche du drame du dénouement (puisque deviné 250 pages plus haut). J'ai en revanche véritablement souffert des incessantes digressions philosophiques et spirituelles, menées avec plus ou moins de talent. Oui, j'ai bien compris ta philosophie/mythologie du vent, merci, pas besoin de remettre le couvert toutes les 20 pages, surtout quand on arrive au bout de la quête!

Au final, le livre se sauve de lui-même par son thème et son contenu: du vent. Le nihilisme absolu. La vacuité d'une quête, l'ironie du sort. Les (re)mises en question des dernières lignes font plaisir à lire, même si elles sont, pour le coup, attendues et convenues.

Venons-en au deuxième élément, celui qui impressionne tant l'école des fans et sa horde de 10: le style.
Oui, Damasio joue avec les mots, oui, Caracole est très fort, oui, le duel verbal est amusant. Mais de grâce, cessons de crier au génie. À la limite, (re)lisez Queneau. Car ici, rien de neuf. Le troubadour de l'histoire est un fervent disciple d'Oulipo, rien de plus. Le talent de Damasio, en revanche, est d'avoir réussi à créer un tout cohérent, entre Verbe et chair, une histoire entière articulée autour du souffle du vent et des sons, une jonglerie joyeuse de phonèmes et jeux de mots. Pas un maître, donc, mais un élève brillant.
Il est dommage qu'au final, ces passages de maestria verbale renforcent la platitude du reste du récit. On a trop souvent l'impression de lire du vide (du vent?), des passages inutiles ou redondants. Quand il s'éloigne de ses brillants exercices de style, on dirait que l'auteur n'arrive plus à donner à ses mots l'efficacité nécessaire pour fluidifier sa prose.

La narration en points de vue multiples, originale, vertigineuse par sa cohorte de 23 personnages, trouve rapidement ses limites, quand on se rend compte qu'on ne peut caractériser singulièrement que 3 ou 4 styles: en tête Caracole, le génie des mots, Golgoth, au verbe acide et vulgaire (qu'il est bon de l'entendre beugler après sa horde!), Sov, le scribe rigoureux, et peut être aussi Pietro, tout en noblesse. Pour les autres, mise à part la divergence des opinions, impossible de vraiment les différencier. Non pas que je le reproche à l'auteur: même avec une narration centrée sur quelques personnages, l'écriture relève d'un vrai tour de force. Encore une fois, il faut saluer le travail et la cohérence de l'ensemble.

C'est donc avec une impression mitigée que je referme La Horde du Contrevent.
Les éléments de style, de récit et de sens n'ont rien d'original, mais cette volonté de les lier en un roman fleuve relevait de la gageure. Le pari est réussi: on a bien là un univers unique et une quête de grande qualité.
Quel dommage que la somme de toutes ces bonnes idées soit au final trop diluée pour aboutir à l'oeuvre exceptionnelle dont elle avait le potentiel.




*Attention, je sais bien que la parution du jeu Lost Odyssey est postérieure à l'édition du livre, je n'accuse personne de plagiat, je ne faisais que souligner que je n'avais pas bénéficié du vent de fraicheur de la trame principale
Djeeb
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le 29 janv. 2012

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Djeeb

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