La jeune fille à la perle. Si le titre de ce roman vous dit quelque chose, c’est normal. Sans doute avez-vous déjà admiré le célébrissime tableau éponyme de Veermer, peintre hollandais du 17ème siècle. Dans cet ouvrage, Tracy Chevalier essaie de percer le mystère qui entoure ce portrait et la jeune femme qui y est représentée. « J'ai écrit ce livre parce que j'ai toujours été fascinée par le tableau de Vermeer, La jeune fille à la perle, explique-t-elle. À quoi pense-t-elle ? Parfois, elle semble vouloir séduire, parfois elle paraît triste. Parfois on croît qu'elle a treize ans et d'autres trente ans. Je me demandais ce que Vermeer avait bien pu dire ou faire pour qu'elle ait un tel regard. De cette interrogation est né ce roman. »
Entre fiction et réalité, l’autrice dépeint la rencontre du grand peintre et de Griet, la nouvelle servante de la maison. Fraîchement engagée chez les Veemer et propulsée en territoire inconnu, elle doit vite se faire aux us et coutumes de la maisonnée, enchaînant les journées harassantes. Entre les nombreux enfants dont elle doit s’occuper, la jalousie de la maîtresse de maison, et surtout, sa relation ambiguë qui naît avec le peintre, Griet est sans cesse ballottée d’une tâche à l’autre.
Dès le début on sent quelque chose de terrible va arriver, comme un orage qui guette, invisible mais palpable. Tracy Chevalier arrive à installer un climat de tension constante. Son écriture ciselée et le rythme lent qu’elle instaure crée un suspens qui saura vous tenir en haleine. Rien n’est dit, tout est sous-entendu. Chaque détail devient essentiel. La psychologie des personnages est très finement décrite, l’autrice relatant leurs sentiments avec une très grande délicatesse et sensibilité. On s’attache vite à la protagoniste dont on suit l’évolution frappante : d’une candeur presque juvénile à une maturation qui presque tient du désillusionnement. Griet comprend qu’elle n’appartient pas au monde qu’elle entraperçoit par le prisme du maître de maison. Il s’agit là d’un rêve qu’elle ne peut qu’effleurer.
En effet, ce roman historique décrit le passage à la vie adulte de Griet. Grâce à Veermer, elle découvre non seulement une certaine intellectualité et un milieu artistique mais aussi la sensualité et les premiers émois amoureux. Son innocence est mise à mal. Pour Veermer, elle doit se compromettre, allant jusqu’à voler elle-même les boucles d’oreilles de sa femme. Elle est aussi salie par les messes basses qui se propagent, questionnant la nature de sa relation avec le peintre. Tracy Chevalier arrive parfaitement à reconstituer le monde de rumeurs qui existait à l’époque entre des servantes.
Enfin, en racontant l’histoire d’un tableau, c’est toute la société hollandaise du 17ème siècle de l’autrice dépeint. Toutes les classes sociales y sont évoquées, des pauvres aux riches, des protestants aux catholiques. L’ubiquité des riches mécènes dans la vie artistique hollandaise y est soulignée. Par son écriture léchée, pleine de descriptions imagées, de jeux sur les couleurs et les lumières, Tracy Chevalier apporte un éclairage singulier sur les codes de l’époque.