La Kallocaïne
7.6
La Kallocaïne

livre de Karin Boye (1940)

Avec un style fluide et concis, Karin Boye parvient à retranscrire la tyrannie des mouvements fascistes ayant parcouru le XXème siècle. Contrairement à 1984, la torture de l'individu reste ici sous-jacente. Cette dernière se traduit par un emprisonnement de l'esprit : interdiction de penser à soi, obligation de vivre pour le bien commun...


D'ailleurs, le roman se dévoile sous la forme de la longue lettre d'un des partisans du régime totalitaire, Kall, et il est fascinant de constater que le texte n'ose jamais dévoiler ses sentiments et émotions. Il déblatère les valeurs de l'Etat Mondial avec naïveté et pourtant on peut discerner une certaine hypocrisie dans son dévouement. Sa fermeture à toute réflexion sur le libre-arbitre aurait pu le rendre détestable, mais on comprend rapidement qu'il est conditionné par la peur. Le pire, c'est que Kall est brillant et qu'il va être le créateur de la drogue permettant d'annihiler les dernières bribes de l'individualisme humain : la Kallocaïne.


Le sujet, en plus d'être passionnant, est également traité avec beaucoup de justesse et de philosophie. D'une part, il y a cette terrible incapacité de Kall à établir le dialogue avec sa conjointe Linda. On a aussi le traitement de la jalousie sourde qu'il va développer à l'encontre de Rissen alors qu'ils ont des rêves communs. Enfin, il y a ce sérum de vérité qui va naturellement témoigner de la folie du régime car le constat sera que chacun enfouit en lui un secret et devient donc un transgresseur potentiel. Le basculement de Kall vers une paranoïa chronique va également le mener à la conscience de son être propre. Un très beau passage à la fin du roman décrit cet éveil spirituel :


Je perçus alors un phénomène - le vent - que j'avais déjà pu sentir et dont j'avais pu observer les effets, sans jamais l'avoir entendu. Une faible brise nocturne courait le long des murs bas, agitant les buissons de laurier-rose du toit-terrasse. Même si, sans doute, celle-ci ne propageait son faible murmure qu'au long de quelques blocs, je ne pus ignorer l'idée saisissante qu'il s'agissait là du souffle de la nuit même, et qu'il émanait des ténèbres environnantes aussi naturellement et facilement qu'une respiration d'enfant dans son sommeil. La nuit respirait, la nuit était vivante, et aussi loin dans l'infini que pouvait plonger mon regard, les étoiles battaient tels des cœurs cosmiques qui emplissaient l'espace, vague après vague, d'une pulsatile onde de vie.


Peu de romans d'anticipations peuvent se targuer d'être aussi modernes que Kallocaïne. En mettant de côté les prédictions sur les technologies futures, Karin Boye se focalise sur les comportements d'hommes et de femmes brimés. Cela pose une question des plus pertinentes aujourd'hui : la liberté intellectuelle est-elle une évidence dans nos sociétés ?

hotshort
8
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le 28 déc. 2018

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