Pour Chomsky, ce sera « La lutte ou la chute ! »

Aux éditions Lux paraît La lutte ou la chute !, un livre d’entretiens dans lequel Noam Chomsky s’épanche sur les grands enjeux politiques, économiques et écologiques de notre temps. Répondant aux interrogations d’Emran Feroz, l’intellectuel-phare de la gauche alternative américaine dresse des constats lucides et sans concession.


Linguiste, écrivain, journaliste, philosophe, professeur au MIT puis à l’Université d’Arizona, Noam Chomsky est un intellectuel dont la parole est attendue et discutée dans tous les milieux et partout au monde. Il incarne ce qu’on qualifiait à la Renaissance d’uomo universale. Ses travaux scientifiques et leur portée dans des domaines aussi variés que la linguistique, les mathématiques ou l’informatique suffisent à s’en convaincre. Dans La lutte ou la chute !, il s’exprime longuement sur l’impérialisme américain, les migrations et leurs causes profondes, la religion ou les questions économiques.


« En fuyant l’Amérique du Sud, hommes et femmes fuient, pour la plupart, la violence et la destruction que les États-Unis, principalement durant l’ère Ronald Reagan, ont provoquées. Il est évident que se joue un scénario similiaire entre l’Europe et l’Afrique quand on connaît l’histoire commune des deux continents. » Noam Chomsky le martèle : les mouvements migratoires observés ces dernières années et servant d’incubateurs au populisme résultent directement de nos politiques expansionnistes passées. Sur l’économie, ses déclarations semblent tout aussi critiques et s’inscrivent à mille lieues de l’enthousiasme béat parfois rencontré dans la presse américaine : « Les économistes Lawrence F. Katz et Alan B. Krueger (…) ont démontré dans une étude de l’université Princeton (…) que 94 % de la croissance nette de l’emploi entre 2005 et 2015 était due à des contrats de travail atypiques. » Avant d’ajouter : « On peut aussi concevoir facilement que les salaires réels des travailleurs de base ont reculé de 4 % par rapport aux années 1970, soit depuis l’offensive néolibérale, ou encore que la productivité au travail a doublé, tandis que les salaires ont baissé et que les richesses ne vont que dans les poches de quelques-uns. »


Plus loin, l’intellectuel analyse le cercle vicieux consistant à faire de la concentration des richesses le lit de l’oligarchie et des inégalités, puis le fossoyeur de la démocratie et le générateur du populisme, dans un mouvement bien réglé et continu. Il revient aussi sur les démonstrations de l’économiste Sean Starrs arguant que les entreprises détiennent près de 50 % de la propriété mondiale. Une part qui « correspond presque à toute la richesse des États-Unis en 1945, l’année où le pays a historiquement atteint l’apogée de sa puissance ». Connu pour ses positions critiques vis-à-vis des États-Unis ou d’Israël, lesquelles lui valent parfois une accusation de « haine de soi », Chomsky demeure fidèle à lui-même, avec le sens de la formule qu’on lui connaît : « Trump ne s’en cache pas, il ne saurait être moins préoccupé par le réchauffement planétaire. Tout ce qui compte pour lui, c’est de pouvoir construire un mur autour de son terrain de golf afin de le protéger de la montée des eaux. »


L’impérialisme américain se trouve largement évoqué dans ce livre d’entretiens. Cela passe par l’esclavagisme, la mise en coupe réglée des institutions internationales ou le budget militaire du Pentagone. Et Chomsky de rappeler : « Les États-Unis possèdent 800 bases militaires en activité, et les soldats américains sont présents dans plus de 70 % des pays du monde. » La montée en puissance chinoise, le régime de Bachar el-Assad, le terrorisme employé comme alibi, les relations russo-américaines, la ségrégation raciale dans le logement, la récolte des données personnelles ou encore les traités commerciaux – essentiellement favorables aux investisseurs – prolongent la pensée de celui qui, à dix ans, écrivait son premier article sur la montée du fascisme en Europe.


Sur l’écologie, enfin, Noam Chomsky a cette remarque, ô combien judicieuse : « La moitié des républicains pense que le réchauffement planétaire est une fiction, tandis que 70 % d’entre eux affirment que les humains n’en sont pas responsables, qu’il soit réel ou non. De tels chiffres seraient déjà choquants dans n’importe quel autre pays, mais n’oublions pas que nous parlons ici d’un État moderne où de nombreuses informations sont accessibles au public. » Il en appelle à cesser l’exploitation des énergies fossiles et à se tourner vers les énergies renouvelables, tout en assurant que « la nature doit être considérée comme la mission prioritaire ».


C’est indéniable, les sujets sont variés et les formules, incisives. Mais le lecteur regrettera peut-être, à certains moments, un manque de profondeur probablement imputable à la structure de l’ouvrage (une suite d’entretiens). Plutôt qu’une énonciation succincte des problématiques déjà citées, nous aurions en effet préféré des analyses plus approfondies et circonstanciées.


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Cultural_Mind
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le 5 mai 2020

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