Faites ce voyage, il ne ressemble à aucun autre.

Après la mort de l’aveugle Zampano, Johnny Erand récupère et reconstitue son manuscrit éparpillé, le Navidson Record.
Ce manuscrit de plusieurs centaines de pages, barbouillé d’encre, alourdi d’index et d’appendices, est un essai sur un film réalisé par Will Navidson.

Ce film est l’exploration, par ce célèbre photo-reporter, de la maison où il vient d’aménager avec sa femme Karen et ses deux enfants.
Cette maison a la facheuse capacité de changer subtilement de forme, jusqu’à faire apparaître des portes nouvelles chaque matin.
Ces portes mènent vers un dédale obscur aux proportions impossibles dans lequel grondent les ténèbres...

Il faut un certain entêtement pour mener à son terme la lecture de La maison des feuilles. Car, comme l’exploration de la maison de Navidson, la lecture du roman de Danielewski demande du courage... et le sens de l’orientation.

Danielewski joue d’abord avec les niveaux de récit. On passe de l’histoire de Johnny Errand [typographie courier large] lente déchéance glauque, à celle des Navidson, [Times de bon aloi] en bifurquant vers les ajouts de Zampano.

Il jongle aussi avec les styles et les genres, prose et poésie, extrait de magazine, lettres, chanson, carnet intime, interviews, photographies, shémas et bande-dessinée, ou notule encyclopédique. Citations de textes en allemand, en espagnol, en latin. Citations d’Homère et de Virgile, de Marguerite Duras et de Stephen King... [fausses et authentiques mêlées]

Mais la plus grande particularité du roman réside dans la façon dont il joue avec la mise en page : jamais cela n’avait été fait jusqu’alors, [coup de chapeau à l’éditeur]. Pas une page n’est semblable à la précédente. Les textes couvrent parfois des pages entières avant de se tasser dans les coins, repartir en arrière, voire la tête en bas. Danielewski tort les phrases au sens propre.

Chaque fois la forme du récit renvoie à son contenu : mots en quinconces très perturbants quand Will Navidson hésite dans le labyrinthe de sa maison. Petits mots perdus dans de grandes pages blanches lorsqu’il découvre de vastes salles sans limites... le lecteur vit le même désarroi que l’explorateur égaré, cherche son chemin et craint de se perdre...

La force de cette mise en page hallucinée est impressionnante. Ce n’est pas qu’une trouvaille esthétique, c’est vraiment une façon de donner vie aux mots et de créer l’angoisse. Le jeu de piste qui en découle est un plaisir réél - et même si le récit en lui-même est assez classique, le style de Danielewski sait distiller la peur, son inventivité crée la surprise à chaque page.
thierryhornet
9
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le 9 sept. 2012

Modifiée

le 9 sept. 2012

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