Anarchiste convaincu, Kropotkine s'amuse dans ce pamphlet aussi politique que philosophique à nous dévoiler son idéologie libertaire.
Pas question ici de propriété comme le ferait un Proudhon, mais il est question dans ce livre pour le prince Russe de questionnement et de réponse sur la nature humaine. Anti-darwinien par définition, ce qui caractérise l'être humain ainsi que l'animal pour ce géologogue ce n'est pas la lutte pour l'existence mais bien la solidarité. Sans la solidarité, l'homme, comme l'animal, est voué à disparaître. Cette solidarité dont notre Pierrot va faire l'étalage à travers quelques pages. Solidarité qui est universelle chez l'être humain, et qui selon l'auteur a pour but consciemment ou inconsciemment de faire survivre et perdurer l'espèce humaine dans 99% des cas. Même chez le bourgeois selon Kropotkine, en effet lorsque ce dernier se maquille c'est pour défendre et faire bien voir sa classe sociale. Entendez par solidarité ce principe même de l'anarchie : "Traite les autres comme tu aimerais à être traité par eux dans des circonstances analogues." Il ajoute aussi dans le livre : "Le bonheur de chacun est intimement lié au bonheur de tous ceux qui l'entourent."


Il parle aussi des actions de l'homme qui sont intimement liés à chaque fois au plaisir. L'être humain selon lui, par ses actes, cherche uniquement le plaisir ou l'absence de souffrance.
Il est question aussi dans le petit livre de ce fameux sentiment moral dont il théorise tout au long de l'oeuvre. Ce sentiment moral qui est universel et présent à chacun de nous, mais malheureusement (c'est la que la politique intervient dans le livre) que la société abîme et irrite. Sous-entendu, en bon Rousseauiste sur ce point, Kropotkine explique que l'homme est bon naturellement mais que c'est la société qui le rend mauvais. Le géographe russe s'exprime ainsi : "Osons-nous seulement aimer? Dans une société basée sur l'exploitation et la servitude, la nature humaine se dégrade." Entendez par société chez Kropotkine : "le prêtre, le juge et le gouvernant". Tout ce qui entraîne une perdition de la souveraineté des actes et nous eloigne du sentiment moral, naturellement présent chez l'homme. En particulier, la religion, qui est vivement critiquée dans ce livre.


Si il est question de morale, il est sûrement question de bien et de mal, l'équation proposé par le prince noir est la suivante : si c'est bon pour la société, c'est bien. En revanche si c'est nuisible à la société, c'est mal. Le plus dur reste à savoir qu'est ce qui est bon ou pas pour la société et l'être humain. Ce bien pour Kropotkine, c'est la non existence d'une hiérarchie humaine de sa société idéalisée ou encore d'un égalitarisme le plus parfait (ce n'est pas pour rien que le monsieur a écrit un livre Communisme et Anarchie). Les gens voulant mettre en nous et nous inculquer le bien et le mal (religion, état, justice) sont des faussaires dans la vérité car cette morale qui est en chacun de nous existe déjà et n'a point besoin de maître. Il croit en un homme moral, qui n'ayant pas honte de ses idées et de sa volonté de puissance pour la liberté distribue sa connaissance sans retour quelconque.
Là ou je suis plus perplexe dans le livre de Kropotkine, c'est sur la solution face à la société néfaste à l'Homme. Notre Pierrot était un partisan sans faille de "la propagande par le fait", il croyait en un terrorisme "juste" et "moral" où lorsque le tyran était tué pour ne pas être remplacé par un autre (principe anarchiste élémentaire) qui peut être complété par la citation de Bakounine : "Le pouvoir ne doit pas être conquis, il doit être détruit." Par cela il justifie le terrorisme et la violence, qui, je pense, n'amène à rien et même dessert une cause. On n'éclaircit pas l'obscurité avec de l'obscurité. Comme le citait Camus dans l'Homme Revolté : "Un but qui a besoin de moyens injustes n'est pas un but juste". Pour ce débat là, la pièce d'Albert Camus Les Justes est d'une grande utilité. Le changement doit être intellectuel et universel en chacun avant que puisse surgir une véritable révolution, il ne doit pas être imposé aux gens de manière brutale, sinon il est tout sauf libertaire. Malgré cette critique personnelle de la vision de Kropotkine, cela ne m'étonne pas que le théoricien du communisme libertaire critiqua viscéralement les Bolchéviks après leurs prises de pouvoirs en 1917, il déclara que "si le socialisme continuera dans cette direction, ce mot là deviendra malédiction". La malédiction du totalitarisme tant redoutée tomba alors sur l'URSS sous le joug de Lénine et Staline.


Bien entendu, c'est un idéal de société, une utopie. La possibilité de cette dernière ne peut se jouer que si l'espèce humaine tout entière se met à changer, ce qui est loin d'être le cas. Pourtant c'est dans les utopies d'aujourd'hui ou de hier que se trouvent les solutions de demain. Tant que l'individualisme continuera l'idéologie de Kropotkine restera une simple idée parmi tant d'autres. Le livre reste quand même un vecteur d'espoir, l'inaccessible étoile est peut-être un jour atteignable pour l'être humain, il suffirait que chacun d'entre nous y mette du sien. Ce "il suffirait" paraît pourtant bien compliqué.
De plus, les idées anarchistes que propose ce livre pour la liberté et la solidarité commune peuvent ne pas être partagées par tout le monde mais il est du devoir de reconnaître que les écrits de Kropotkine sont de profonds et d'intéressants songes intellectuelles qui visent à une équité universelle, au bonheur de toute la société et que ses textes sont écrits de très bonne manière.
À lire et à méditer pour toute personne s'intéressant aux théories politico-philosophiques.



La lutte, c'est la vie, d'autant plus intense que la lute sera plus vive. Et alors tu auras vécu, et pour quelques heures de cette vie tu ne donneras pas des années de végétation dans la pourriture du marais.
Lutte pour permettre à tous de vivre de cette vie riche et débordante, et sois sûr que tu trouveras dans cette lutte des joies si grandes que tu n'en trouverais pas de pareilles dans aucune autre activité.
C'est tout ce que peut te dire la science de la morale. À toi de choisir.
Pierre Kropotkine, La morale anarchiste.


GustavoFring
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le 17 mai 2016

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