Un amour perdu entre rêve et réalité

Je tiens à prévenir que cette critique contient de nombreux spoilers. Il est difficile de parler de l’œuvre sans dévoiler les points clés de l’histoire.


La morte amoureuse est surement une des œuvres les plus populaires de Théophile Gautier, grand auteur romantique. Dans cette nouvelle fantastique l’auteur nous offre une description belle et touchante de l’amour, en y alliant une critique des contraintes sociales.
Il réussira sur une trentaine de pages à mêler amour, doute, angoisse et tragédie. A travers l’histoire d’un homme qui avant son ordination tombe amoureux d’une « femme ».



La morte amoureuse, un amour fou avant tout.



Le thème principal de l’œuvre est l’amour, un jeune homme de 24 ans nommé Romuald se prépare à son ordination, c’est pour lui la plus belle chose au monde que d’être prêtre. Cet homme ne connait rien du monde et il ne connait rien des femmes… Le jour de son ordination, il attend que la cérémonie commence, alors qu’il est assis dans l’église, il aperçoit une femme qui le subjugue instantanément . C’est pour lui un choc, une révélation, lui qui n'avait jamais aimé personne d'autre que Dieu, elle essaiera de le séduire. La description qui nous est livrée est magnifique, la beauté des mots employés nous fait tomber amoureux de cette femme.
« Ses yeux étaient un poème dont chaque regard formait un chant. »
Mais cet amour est impossible, Romuald ne peut plus reculer maintenant il s’est engagé à devenir prêtre.
C’est le début de ses tourments, il sera hanté par la vision de cette femme pendant des années.
Jusqu'à une nuit où un homme viendra chercher Romuald car sa maîtresse se meurt, il demande à Romuald de procéder à l’extrême-onction. Cette femme c’est la femme qui tourmente Romuald depuis son ordination. Quand il arrive elle est déjà « morte ». Il réussira grâce à un baiser à la ranimer un instant. Elle s’appelle Clarimonde.



Le doute s’installe, un monde aux réalités multiples.



Après la « mort » de Clarimonde, cette dernière viendra visiter Romuald toutes les nuits en « rêve » ou alors c’est la vie dans son presbytère qui est un rêve ou bien les deux sont réelles, notre prêtre voyagerait alors entre deux réalités parallèles. Le jour Romuald est un homme d’église pieux, il prêche la bonne parole et est tout ce qu’il y a de plus saint. La nuit il vit une vie de gentilhomme avec son amante qui le comble d’amour, il joue et blasphème.
La frontière entre la réalité et le rêve au fil du roman est de plus en plus abstraite, notre personnage est perdu dans ses émotions. Il commence à s’abandonner de plus en plus à son amante, qui le comble de plaisir et pour qui il donnerait sa vie. Au cours de la nouvelle on sent que Romuald cherche de plus en plus à chasser sa vie de prêtre. Il ne pense plus qu’a Clarimonde.
« Notre existence coulera comme un rêve et ne sera qu'un baiser éternel. »



A la suite de phénomène inquiétant l’angoisse fait son apparition dans le récit.



Plusieurs indices semblent montrer que Clarimonde est plus qu’une simple humaine, à vrai dire, il semble qu’elle possède plus de la divinité que de la femme. C’est alors que Clarimonde est mourante qu’on découvrira son identité, une goutte du sang de son mari qui s’est blessé va lui faire retrouver de son énergie. De retour dans sa vie de prêtre l’abbé Sérapion tient des propos inquiétants au héro « non content de perdre votre âme, vous voulez aussi perdre votre corps ». On a peur pour le héro car on a l’impression qu’il se laisse avoir par cette femme qui le séduirait pour lui voler son sang.
Heureusement pour lui il n’en sera rien Clarimonde l’aime réellement d’un amour fou et si elle a vraiment besoin d’une partie de son sang, elle fera tout pour lui en laisser le plus possible.
« Une goutte rien qu’une petite goutte rouge, un rubis au bout de mon aiguille !... Puisque tu m’aimes encore, il ne faut pas que je meure… Ah ! Pauvre amour ! Ton beau sang d’une couleur pourpre si éclatante je vais le boire. Dors, mon seul bien ; dors mon dieu, mon enfant ; je ne te ferais pas de mal, je ne prendrai de ta vie que ce qu’il faut pour ne pas laisser éteindre la mienne. Si je ne t’aimais pas tant, je pourrais me résoudre à avoir d’autres amants dont je tairais les veines, mais depuis que je te connais, j’ai tout le monde en horreur… ».



Une fin tragique, la mort de Clarimonde.



Romuald commence à avoir du mal à supporter cette double vie, il doit faire face aux critiques de l’abbé qui le fait culpabiliser et veut savoir si sa vie avec Clarimonde est bien réelle. L’abbé lui proposera d’aller fouiller la tombe de son amante afin de lui prouver qu’elle est bien morte. Il acceptera ne pouvant plus supporter le doute qui le hante. A l’intérieur de la tombe la découverte est stupéfiante. « Clarimonde pâle comme un marbre, les mains jointes, son blanc suaire ne faisant qu’un seul pli de sa tête à ses pieds. Une petite goutte rouge brillait comme une rose au coin de sa bouche » sitôt qu’il l’a vit l’abbé l’aspergea d’eau bénite ce qui la fit se décomposer.


La nuit suivante ce fut la dernière fois qu’elle rendit visite a Romuald, qui regrettera toute sa vie de l’avoir tuée. Il aimait cette femme d’un amour fou, il l’avait tuée car il lui était interdit d’aimer autre chose que Dieu. Maintenant il l’a regrettait et même si ce n’est pas dit directement il doit au fond de lui en vouloir un peu à Dieu. N’aurait il pas été mieux que ce prêtre puisse avoir le droit d’aimer ainsi il aurait pu aimer Dieu d’un amour encore plus puissant car Dieu lui aurait laissé cette femme qui lui aura fait vivre une vie pleine de passion et de beauté.



Une œuvre lyrique, nous sommes transportés à l’intérieur du personnage de Romuald.



Théophile Gautier en auteur romantique cherche non pas à nous raconter une histoire mais a nous la faire vivre. A mon sens ça a marché j’ai été complètement transporté et ai ressenti une large gamme d’émotions grâce a un texte bien écrit qui entretient le mystère.
Si ce récit fonctionne si bien c’est principalement grâce au « je» lyrique et la très large utilisation du monologue intérieur. Ce dernier nous plonge dans ce personnage torturé, on s’attardera longtemps sur ce qu’il ressent, le texte est un poème d’une trentaine de pages tant il est riche en images et figures de style. Cette accumulation de procédé accoutume le récit a un rêve et c’est bien là le but de l’auteur, si le récit s’apparente à un rêve on a des doutes, les doutes créent de l’angoisse, l’angoisse peut amener à la tragédie. Bien que l’amour soit le thème principal de la nouvelle, la tension est très présente, c’est un amour interdit avec une créature qui peut s’avérer dangereuse et pourtant on s’abandonne à elle malgré nous.


La morte amoureuse est, une des plus belles si ce n’est la plus belle nouvelle de Théophile Gautier. L’auteur au cours des trente pages joue avec l’esprit du lecteur il s’amuse à lui faire éprouver des sentiments variés : passant rapidement de l’amour à l’angoisse et de la tristesse au doute. Si cette œuvre dépeint principalement un amour fou, l’auteur en profite également pour délivrer une critique forte des contraintes sociales, on sent qu’il n’approuve pas le formatage de la société, il ne comprend pas pourquoi il est interdit aux hommes d’église d’aimer quelqu’un d’autre que Dieu. Ne peut on pas partager l’amour et le multiplier, l’amour n’est pas une valeur fixe, plus on en reçoit et plus on peut en distribuer, le clergé en laissant aimer ses hommes ne pourrait il pas alors faire en sorte que les hommes aiment encore davantage Dieu ?


« J'aurais voulu pouvoir ramasser ma vie en un monceau pour la lui donner et souffler sur sa dépouille glacée la flamme qui me dévorait »

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le 26 oct. 2017

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Nicolas68

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